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Histoire du Maghreb تاريخ المغرب الكبير

Le culte des martyres et l'église de Marrakech au XIII siècle.

Le culte des martyres au Maghrib al-Aqsâ est peut-être l'une des caractéristiques essentielles des ordres missionnaires, qui avait fixé comme objectif la conversion des musulmans au christianisme. Ces religieux, animés par une volonté de prêcher l'évangile, appartenaient aux deux ordres du XIIIe siècle, celui du Saint Dominique et celui du Saint François d'assises. L'époque almohade, où les sentiments religieux coïncident avec une doctrine unitaire et purificatrice de la communauté, ne put qu'aggraver la situation de la dimma et imposer un dispositif hostile à toute mission venant de l'extérieur. Rappelons-nous que, dès le début, la politique d'hostilité envers les minorités religieuses a commencé avec cAbd al-Mu'min le fondateur de la dynastie. Il avait demandé aux chrétiens de choisir entre la conversion et l'exil, c'est-à-dire que même le statut de la dimma n'était pas cité par nos sources. Ce qui laisse à penser qu'une forme de servitude pour les chrétiens était envisageable. L'auteur d'al-Mucjib, témoin de la situation, nous informe que le statut de la dimma n'était pas accordé aux communautés juives et chrétiennes, et qu'aucune église ne se trouvait sur le territoire du Maghrib à l'époque des Almohades. Les Juifs se sont convertis à l'islâm, mais personne ne savait s'ils étaient sérieux dans leur entreprise.

L'état dans lequel se trouvaient les chrétiens du Maghrib occidental sur le plan religieux, en qualité de dimmi,dimmi conclu avec les autorités du pays. A Ceuta en 1227, sept autres francisc avec une semi-liberté pour l'exercice de leur culte, sans propagande au milieu des Musulmans, n'était pas le seul souci du courant mystique qui dépasse largement ces interdits. Déjà 1212, l'année de Las Navas, quinze franciscains trouvent la mort au Maghrib. Le 16 Janvier 1220, les cinq frères, d'origine italienne, envoyés pour évangéliser les Musulmans sont tombés martyrs à Marrakech, pour avoir insulté le Prophète dans leur discours et prêché l'évangile dans les rues de la capitale. Un acte odieux et inacceptable aux yeux des Musulmans et un dépassement au contrat de ains ont été tué pour les mêmes faits, parmi eux se trouvait le frère que l'église honora sous le nom de Saint Daniel de Ceuta. Les martyres de Marrakech et de Ceuta représentent le courant qui veut convertir les musulmans par la parole. Au lieu de se consacrer aux chrétiens du Maghrib, ils allaient jusqu'à se faire martyriser, afin de créer les conditions favorables et psychologiques pour influencer les musulmans par cet acte symbolique, dont l'église, d'ailleurs, a été reconnaissante par le choix de plusieurs saints parmi ces martyrs.

Le courant réaliste, représenté par le clergé, connut la réalité du royaume des Miramolin, sa puissance et son intransigeance vis-à-vis des missionnaires. En effet les tâches des missionnaires pour le clergé étaient d'entretenir une vie religieuse chrétienne pour les milices, les esclaves, les mozarabes et les marchands. Des raisons de sécurité avaient poussé les papes à s'intéresser à l'organisation de ces missions à partir de l'Espagne. Le 20 février 1226, le pape Honorius III avait écrit à l'archevêque de Tolède, Rodrigo Jiménez de Rada, pour lui demander d'envoyer au Maghrib occidental de nouveaux prédicateurs dominicains et franciscains et de faire en sorte que deux de ces prédicateurs soit élevés à la dignité épiscopale. L'offensive missionnaire sur le sol des Almohades a été pris avec prudence par les autorités religieuses de la chrétienté et à haut niveau. Le pape Honorius avait recommandé au prélat castillan de choisir pour les missions apostoliques des religieux prudents et discret. Des missionnaires qui n'allaient pas faire du zèle religieux en portant des vêtements sacerdotaux ou en manifestant ouvertement leur culte sur la place publique, comme le faisaient les Franciscains qui avaient provoqué violemment les Musulmans pour devenir martyrs. Le réalisme du Saint-Siège et sa méfiance vis-à-vis des prédicateurs mystiques allait donner naissance à une organisation missionnaire où Rome et la Castille, les deux organisateurs des missions et les soutiens des frères prêcheurs et mineurs en argent des aumônes, ont voulu réussir la mise en place d'un siège constant de l'évêché au Maghrib occidental, sans heurter les sentiments des Musulmans, ni la sensibilité des autorités almohades dans la capitale de l'empire, Marrakech.

La dislocation de l'empire almohade et les luttes fractionnelles entre les membres de la famille régnante allaient permettre la mise en place d'une politique offensive de la chrétienté, puisque le pontife ne voyait pas d'objection, à condition que cette mission apostolique soit organisée discrètement. Le traité conclut vers 1228 entre Ferdinand et le calife al-Ma'mûn était une chance que le roi de Castille avait saisie pour devenir le champion de l'église, en réalisant ce que Rome espérait d'un accord entre une partie de la chrétienté et les autorités de Marrakech: la création d'un lieu de culte pour les chrétiens de l'empire. Avant la bataille de Las Navas de Tolosa en 1212, il y avait eu des rapports diplomatiques entre les rois chrétiens d'Espagne et les souverains almohades, en grande partie liés au territoire de la Péninsule Ibérique, mais la fin du règne du calife mû'minide al-Nnâsir (1213), suivi d'un épisode de dissensions entre divers prétendants au pouvoir suprême marque le début d'une politique des rois chrétiens de la Péninsule au Maghrib.

Sur la base du dogme de l'unicité divine (Tawhîd plu., Wahdâniyat Allâh) et le mahdisme, Ibn Tûmart avait fondé l'empire almohade. Sa propagande en Occident musulman, son organisation politico-militaire et la définition du champ d'action idéologique de la communauté almohade, a été légitimé par ces deux principes fondamentaux, qui ont constitué les éléments unificateurs d'une société mosaïque. A ce stade, tout changement dans les bases fondatrices ne pouvait que créer des fractures au milieu de la classe dirigeante, ce que d'ailleurs le rejet du mahdisme allait provoquer.

L'attitude contradictoire et mouvementée du troisième calife al-Mansûr (1185-1199), qui avait manifesté le désir du rejet du mahdisme, a été beaucoup présente dans la déclaration officielle de son fils al-Ma'mûn. L'auteur d'al-Hulal rapporte le texte qui a touché les traditions les plus sacrées de la communauté almohade:

«De la part d'Amîr al-Mu'minîn (Prince des Croyants) aux Talaba (Savants) nobles, notables, à la masse, à tous les Croyants, et aux musulmans -Dieu veuille leur inspirer de le remercier pour l'abondance de ses grâces, puissent les visages des beaux jours ne jamais se détourner d'eux-. De la cité de Marrakech -Dieu la protège- nous vous écrivons cette lettre -Dieu vous assigne une conduite docile, un bonheur radieux et un comportement déférent, toujours prêts à l'obéissance, afin que triomphe une parole décisive, un jugement lumineux, une sentence irrévocable, une porte qui ne saurait être fermée et des ombres planent sur les horizons et effaçant l'hypocrisie, après quoi, ce que nous recommandons, c'est de craindre Dieu l'Immense, de rechercher son soutien et de vous confier à lui. Sachez que nous avons rejeté l'erreur et fait apparaître la vérité et qu'il n'y a d'autres Mahdî que Jésus, fils de Marie, Esprit de Dieu, qui reçut ce nom parce qu'il parla dans le Mahd. Il n'est nommé Mahdî que parce que vous avez une conviction erronée sur ce qu'est le Mahdî. C'est là une hérésie que nous avons fait cesser et puisse Dieu nous aider dans cette attitude que nous avons adoptée. Nous avons supprimé son nom, et comme son infaillibilité n'est pas établie, nous l'avons privé de son titre: il s'efface, il tombe, rien ne subsiste de lui. Notre seigneur al-Mansûr avait déjà songé à proclamer ce que nous proclamons maintenant, et à soustraire la communauté à l'affliction que nous avons dissipée. Mais son espoir ne l'y aida point, la mort seule l'en ayant empêché, et il se présenta devant Dieu avec une intention sincère et pure, puisque l'infaillibilité ne fut pas reconnue aux compagnons (du prophète), que penser de celui qui ne savait pas de quelle main prendre son livre? En vérité, ils se sont égarés et ont conduit à l'égarement. Ils se sont corrompus et ont glissé. Aucun argument en l'occurrence ne milite en leur faveur. Sois-nous témoin o mon Dieu, que nous sommes innocents de ce qu'ils ont fait, comme les élus sont innocents en face des réprouvés. Nous cherchons refuge auprès de toi contre leur dessein nocif, et leur action néfaste, parce que nous avons les convictions qu'ils sont au nombre des réprouvés et nous disons d'eux ce qu'a dit le Prophète Noé: "Seigneur, ne laisse sur terre nul vivant parmi les infidèles, salut».

Les décisions d'al-Ma'mûn avait mis le système politique du régime almohade en cause, avec un massacre des Shaykhs de Tinmel et de Hintâta, défenseurs les plus farouches du mahdisme, mais les réformes ont touché aussi les masses populaires, où la croyance au Mahdî était très vivante, Ibn Khaldûn dans la Muqaddima écrit: «De tous les temps, les Musulmans ont entretenu l'opinion que, vers la consommation des siècles, doit nécessairement paraître un homme de la famille du prophète, afin de soutenir la religion et de faire triompher la justice, emmenant à sa suite les vrais croyants il se rendra maître des royaumes musulmans et s'intitulera al-Mahdî (le dirigé). Alors viendra al-Dajâl (l'anté-christ) et auront lieu les événements qui doivent signaler l'approche de la dernière heure (du monde), événements indiqués dans les recueils de la tradition authentique. Après la venue du Dajâl, Jésus descendra (du ciel) et le tuera, ou bien (selon une autre opinion) il descendra avec le Mahdî pour aider à tuer le Dajâl, et, en faisant sa prière, il aura le Mahdî pour Imâm». En supprimant le nom du Mahdî du prône (Taslît, appel à la prière en langue berbère), et des monnaies, al-Ma'mûn avait mis fin à toute la théocratie de l'ancien régime, à un Etat doctrinal mahdiste.

En ces temps de luttes intestines, la présence des forces chrétiennes allaient renforcer son influence et son rôle, en particulier après l'accord conclu en 1228 avec le roi de Castille Saint Ferdinand. Comment et à quel prix cet accord a été négocié avec les Chrétiens d'Espagne? Rappelons tout d'abord, que si les souverains almohades avaient à leur service, comme le veut la tradition au Moyen-Age, de petites unités de milices chrétiennes. La puissance et l'unité du pouvoir mahdisto-almohade n'avaient laissé aucun rôle politique à ces milices. Ces dernières jouèrent un rôle de khidma, en particulier la milice commandée par le capitaine Giraldo, surnommé sans peur vers 1165-1169, à l'époque du calife Abû Yûsuf b. cAbd al-Mu'min (1163-1184). Et celle commandée par Pedro Fernandez de Castro durant le règne d'Abû Yûsuf Yacqûb al-Mansûr (1184-1199). Le rôle minime de ces milices allait devenir utile et vital pour maintenir le pouvoir almohade après la désastreuse défaite de Las Navas de Tolosa en 1212. Au service du calife al-Mustansir on trouve deux milices chrétiennes: la première sous les ordres d'un Caïd castillan, basé à la ville de Meknès, et l'autre milice espagnole sous les ordres d'un capitaine sous le nom de sœur d'Alfonso. Dans la capitale, le calife al-Mustansir disposait d'une milice commandée par un prince portugais, l'infant Pierre, le frère d'Alphonse II de Portugal (1211-1223). Les milices chrétiennes d'al-Mustansir devenait de plus en plus importantes dans le maintient du pouvoir politique mu'minide de Marrakech, installé dans les villes stratégiques du Maghrib occidental, le bastion de l'empire. Les chevaliers chrétiens contribuaient à maintenir les positions militaires face à la dissidence mérinide, qui devenait de plus en plus imposante sur le plan militaire, en disputant au pouvoir de Marrakech la main mise sur la ville de Taza et Fès deux villes portuaires vers le Maghrib Atlantique.

La dislocation du pouvoir almohade au Maghrib et en Andalousie, avait conduit, comme nous l'avons vu, à des luttes intestines, qui allaient se solder par la présence d'une milice chrétienne estimée par les historiens à douze mille hommes. Ces derniers allaient contribuer à la restauration de l'autorité d'al-Ma'mûn dans la capitale et au sud du Maghrib occidental. La défaite almohade à Las Navas de Tolosa face à la coalition de la chrétienté et l'instauration d'un pouvoir almohade à Marrakech grâce aux chevaliers chrétiens, sont les deux événements qui ont donné au retour du christianisme au Maghrib occidental, et avec force, toutes les chances d'installer et d'organiser une église sur le territoire almohade. Avec le soutien des rois d'Espagne et le Saint-Siège, l'espoir a été très grand dans les milieux religieux.

Grâce à l'instabilité du pouvoir des Mu'minîdes après la défaite de Las Navas de Tolosa, et aux luttes fractionnelles interminables au sein du pouvoir almohade, Les effectifs et le rôle militaire des milices chrétiennes ont augmenté. Les chrétiens du Maghrib occidental ont posé la question de l'organisation d'une église, puisque l'accord castillano-almohade le permettait d'une part et que la présence des milices encourage cette entreprise d'autre part. Mais avant de parler de l'église du XIIIe siècle à Marrakech, il reste à définir l'état de la chrétienté du Maghrib occidental qui pouvait maintenir ce projet, en particulier la chrétienté autochtone.

Les chrétiens du Maghrib occidental avaient des origines diverses. La chrétienté préislamique qui pouvait faire durer le projet du retour du christianisme organisée avait disparu, même si des doutes restent à ce niveau persistant. Dès le VIIIe siècle, après la conquête de la Péninsule Ibérique par l'armée berbéro-arabe, le système des déportations appliquées aux Wisigothes avait apporté un nouvel apport aux origines de la chrétienté. Les deux groupes chrétiens locaux et déportés Wisigothes ont sûrement pris l'aspect local, en intégrant les masses du pays individuellement. A l'époque des deux dynasties almoravide et almohade qui tenaient largement l'Espagne musulmane sous leur domination, on procéda à la déportation des chrétiens -Mozarabes-, à diverses reprises pour des raisons politiques et sécuritaires. Un grand nombre de ces déportés se sont enracinés au Maghreb, en particulier leurs descendants.

Si les informations relatives aux chrétiens sont rares, il n'est pas exclu de remarquer qu'avec les derniers almoravides, l'offensive chrétienne dans un royaume qui vivait ces derniers jours à cause de la montée en puissance du mouvement almohade était importante. Dans la ville de Fès, un évêque Mozarabe Miguel ban cAbd al-cAzîz avait vécu onze ans de 1126 à 1137. Ce dernier avait fait de sa main une copie arabe des Évangiles. C'est une liberté de culte des Mozarabes déportés qui avait permis dans une certaine mesure cette réalisation pour la communauté Mozarabe de la ville. L'utilisation et le recours aux milices chrétiennes à la fin du règne des Almoravides ne faisaient qu'augmenter l'espoir des communautés chrétiennes du royaume, surtout que les généraux miliciens avaient une grande légitimité chez les souverains almoravides, à leur tête le grand général le Barcelonais Reverter mort en 1145. On n'est pas loin de penser que le jardin de Marrakech nommé le jardin Sainte Eulalie, désignant la chapelle consacrée à la patronne de Barcelone, était lié à l'influence de ce général barcelonais.

Les communautés chrétiennes au Maghrib occidental étaient loin d'être tolérées dans la société islamique. Elles étaient souvent exposées au phénomène de rapatriement vers les pays chrétiens ou, tout simplement, subissaient le massacre par le nouveau pouvoir mis en place, comme la mise à mort des chrétiens Banî Farhân -Mozarabes- en l'an 1232. Les communautés chrétiennes du Maghrib étaient en réalité des installés récents, à qui l'église devait apporter des solutions pratiques de vie communautaire pour maintenir intacte leur foi chrétienne. L'église a tourné son regard vers ses groupes de miliciens, marchands et esclaves pour les organiser et les fortifier face à la menace d'apostasie et la tentation de devenir musulmans pour échapper à la lourdeur des lois spécifiques qui comprend la marginalisation sociale et la fiscalité exorbitante. Les conversions des chefs de la milice et leurs descendants devenait très inquiétante pour le Saint-Siège; le 20 février 1226, le pape Honorius III s'inquiétait auprès de l'archevêque de Tolède, de l'apostasie qui touche les chrétiens de l'almohade au Maghrib. De son côté Raymond de Penafort signale ce phénomène vers 1246. Le pape Nicolas IV en 1290 s'est adressé aux milices chrétiennes qui partirent servir au Maghreb pour les mettre en garde des tentations de conversion.

C'est à cause de ces risques d'apostasie, que Ferdinand III, allait profiter de la faiblesse almohade pour imposer une clause dans l'accord avec al-Ma'mûn vers 1228 et qui stipule qu'il est interdit aux chrétiens de l'almohade de se convertir à l'islâm. De ce fait, Ferdinand III s'est imposé sur la scène politique comme le champion et le protecteur des chrétiens du Saint-Siège. La présence d'un clergé au sein de la communauté chrétienne fait partie de sa base fondamentale communautaire. Historiquement avant même l'accord de Ferdinand III et al-Ma'mûn, les milices chrétiennes disposaient dans la capitale Marrakech d'un évêque. Vers 1220 les chrétiens du Maghrib avaient un prêtre portugais, chanoine de l'église Sainte-Croix de Coimbra, qui avait servi de relais spirituel pour les milices portugaises de Marrakech, commandées par l'infant Pierre du Portugal. En 1227, le quartier des fondouks européens de la ville de Ceuta était sous l'autorité ecclésiastique d'un prêtre italien nommé Hugo.

Le Saint-Siège est intervenu en faveur des chrétiens du Maghrib. Le pape Innocent III avait écrit au calife almohade pour lui demander d'accepter les missionnaires trinitaires. Ce début des ordres missionnaires encouragé par les papes est suivi par les grands ordres du siècle: les mercédaires, les dominicains et les franciscains ont enthousiasmé un grand nombre de religieux. Le long du XIIIe siècle l'offensive spirituelle de l'occident chrétien était à un niveau sans précédent en Maghreb musulman, grâce aux bouleversements politiques, économiques et militaires qui ont été favorable à la chrétienté. L'église, dans cette œuvre, s'appuyait sur les métropoles chrétiennes de l'Espagne, en particulier la Castille, qui est devenue la plaque tournante des missions et l'organisatrice des chrétiens du Maghrib occidental. Ainsi le grand prélat castillan, l'instigateur de l'offensive chrétienne contre les Almohades en Espagne musulmane -Las Navas de Tolosa-, allait devenir le fondateur du diocèse du Maghrib occidental. Le secours du roi Ferdinand III de Castille à al-Ma'mûn est le résultat d'un marché politique que le calife almohade allait honorer par des concessions en faveur des chrétiens et des autorités castillanes, parmi les points importants de cet accord:

1-Le roi Ferdinand III fournit un corps de douze mille cavaliers chrétiens, pour aider à la conquête du Maghrib et la capitale Marrakech par al-Ma'mûn.

2-al-Ma'mûn avait cédé dix places fortes espagnoles au roi de Castille.

3-Il avait accordait à la milice chrétienne le droit à l'exercice public du culte.

4-Le droit de construire une église dans la capitale Marrakech où les chrétiens peuvent sonner les cloches, se rassembler pour exercer leur culte.

5-L'autorisation aux musulmans de se convertir à la foi chrétienne.

6-L'interdiction aux chrétiens de se convertir à l'islâm.

La période d'al-Ma'mûn avait avantagé les chrétiens du Maghrib almohade, il n'est pas exclu de voir dans ces événements un changement de politique par rapport aux précédents règnes, mais aussi un changement d'orientation religieuse quand al-Ma'mûn par lettre et directement de la chaire de la Mosquée de Marrakech avait maudit la mémoire d'Ibn Tûmart «... Je vous dis, moi, s'écrie-t-il, que toute l'histoire de votre Mahdî n'est qu'une imposture... Il n'est point de Mahdî, si ce n'est Jésus fils de Marie». Les paroles d'al-Ma'mûn contre la doctrine de l'ancien régime, les faveurs données aux chrétiens étaient une innovation dans l'histoire des Almohades, tendance radicale de l'islâm Maghrébin vis-à-vis des communautés religieuses. Deux ans après, la mise en place des réformes d'al-Ma'mûn et la fondation de l'église de Marrakech, la révolte de Yahyâ b. al-Nnâsir en 1232, qui avait profité de l'éloignement d'al-Ma'mûn et ces milices dans le nord du Maghrib pour assiéger la ville de Ceuta, avait mis fin à ce compromis. Yahyâ b. al-Nnâsir était descendu de la montagne pour dévaster la capitale, tout en faisant démolir l'église bâtie par les chrétiens pour finir par un massacre des communautés minoritaires. C'est ainsi que se termine l'expérience d'un libéralisme à l'égard des chrétiens du royaume de l'almohade al-Ma'mûn et l'expérience d'une fondation -l'église de Marrakech-, lieu de culte et de rassemblement des chrétiens du Maghrib occidental. Les relations entre les successeurs d'al-Ma'mûn et les autorités religieuses de la chrétienté ne cessèrent pas. Le pape Grégoire IX en 1233 remercie le calife al-Rashîd du traitement qu'il avait réservé aux religieux Mineurs dans son royaume, tout en indiquant en 1237, que les conditions du maintien de l'église chrétienne étaient remplies par le calife almohade.

Dans l'histoire du christianisme qui succéda à la fondation de l'église de Marrakech, on remarque que, malgré les faveurs des califes almohades, les milices restent menacées, à tout moment, par des révoltes internes qui les prennent pour cible, et comme le principal mal de l'empire almohade. C'est pourquoi nous ne sommes pas étonnés de lire dans les lettres du pape Innocent IV datées de 1246 et 1251, la demande de place de sûreté aux chrétiens. Il avait rappelé au calife al-Sacîd que les chrétiens sont massacrés à travers son territoire et il lui expose clairement le danger: «Comme beaucoup d'entre eux doivent aller fréquemment à ton armée, ou sont employés ailleurs à ton service, et qu'ils n'ont pas de lieux de sûreté où ils puissent laisser leurs femmes, leurs enfants et leurs autres parents, les Sarrasins saisissent l'occasion pour en tuer beaucoup et pour forcer quelques-uns à abjurer la foi chrétienne». La lettre du pape Innocent IV qui demande des places de sûreté situées sur le rivage de la mer pour faciliter le débarquement en cas de crise politique interne conduisait, en réalité, si elle était entendue par le calife, à faire des concessions territoriales. Ce serait une première dans la manière de traiter les communautés chrétiennes, puisque, traditionnellement, les autorités musulmanes ont intégré les chrétiens dans le schéma architectural et social de la ville musulmane, en leur réservant un quartier de la ville comme habitat et refuge, tandis que la demande du pape était une autonomie territoriale comme domaine de la chrétienté, qu'il allait renouveler en 1251, avec des menaces qui consistent à interdire aux chrétiens de servir dans l'armée des Almohades. Quelles que soit les faveurs que les chrétiens du Maghrib occidental ont obtenu de tel ou tel calife par accord avec les rois d'Espagne ou avec le Saint-Siège, les communautés chrétiennes, avec à leur tête la milice, restent, à chaque fois que le désordre politique règne, à la merci de tout conflit interne.

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