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Histoire du Maghreb تاريخ المغرب الكبير

Texte d'Ibn Abî Zar' sur le premier Imâm idrisîde au Maghrib al-Aqsâ

Edriss, fils d’Abd Allah, fils d’Hossein, fils d’el-Hosseïn, fils d’Ali, fils d’Abou Thaleb (que Dieu les agrée !), se montra en public dans la ville d’Oualily, le vendredi quatrième jour du mois de Dieu ramadan de l’année 172. La tribu des Ouaraba fut la première à le saluer souverain; elle lui donna le commandement et la direction du culte, de la guerre et des biens. Ouaraba était à cette époque la plus grande des tribus du Maghreb ; puissante et nombreuse, elle était terrible dans les combats. Vinrent ensuite la tribu des Zenèta et des fragments des tribus berbères de Zouakhta, Zouagha, Lemmaya, Louata, Sedretta, Khyata, Nefrata, Mekenèsa et Ghoumâra, qui le proclamèrent et se soumirent, à lui. Edriss affermit son gouvernement et son pouvoir ; de toutes parts ou venait en foule lui rendre hommage. Bientôt devenu puissant, il se mit à la tête d’une immense armée, composée des principaux d’entre les Zenèta, Ouaraba, Senhadja et Houarâ, et il sortit pour faire une razia clans le pays de Temsena. Il se porta d’abord sur la ville de Chella, qui était la plus proche, et s’en empara. Il soumit ensuite une, partie du pays de Temsena et se dirigea sur Tedla, dont, il enleva les forteresses et les retranchements. Il n’y avait dans ce pays que quelques musulmans ; les chrétiens et les juifs y étaient très-nombreux ; Edriss leur fi t à tous embrasser la religion de Mohammed.

L’imam Edriss revint à Oualily, où il fi t son entrée à la fi n du mois d’ou’l-hidjâ de ladite année 172. Il y passa le moharrem, premier mois de l’an 173 (789 J. C.), pour donner à ses gens le temps de se reposer, et il sortit de nouveau pour aller soumettre ce qui restait encore dans le Maghreb de Berbères, chrétiens, juifs ou idolâtres. Ceux-ci étaient retranchés et fortifiés sur des montagnes et dans des châteaux inaccessibles; néanmoins, l’imam ne cessa de les attaquer et de les combattre que lorsqu’ils eurent tous, de gré ou de force, embrassé l’islamisme. Il s’empara de leur terres et de leurs retranchements ; il fi t périr la plus grande partie de ceux qui ne voulurent pas se soumettre à l’islam, et, dépouilla les autres de leurs familles et de leurs biens. Il ravagea le pays, détruisit les forteresses des Beni Louata, des Mediouna, des Haloula et les citadelles .des Khyata et de Fès ; il revint alors à Oualily et y entra vers le milieu de djoumada el-alchira de la même année 173.

Un mois après, vers le 15 de radjeb, son armée étant reposée, l’imam se remit en campagne et se porta sur Tlemcen, qui était occupée par lies tribus des Mahgraoua et des Beni Yfran. Étant arrivé dans les environs de cette ville, il campa, et aussitôt l’émir Mohammed ben Ghazen ben Soulat el-Maghraouy el-Ghazy, qui la commandait, vint vers lui pour demander l’aman. Edriss le lui accorda, et reçut sur le lieu même la soumission de Mohammed ben Ghazen et de tous ceux qui l’accompagnaient.

L’imam entra sans coup férir à Tlemcen, donna l’aman au peuple et, édifia une belle mosquée, qu’il orna d’une chaire sur laquelle il fi t graver ces mots : «Au nom de Dieu clément et miséricordieux. Ce temple a été élevé par les ordres de l’imam Edriss ben Abd Allah ben Hossein ben el-Hosseïn ben Ali ben Abou Thaleb, que Dieu les agrée !» On était alors au mois de safar de l’année 174 (180 J. C.). Sur ces entrefaites, on annonça au, khalife Rachid qu’Edriss avait conquis le Maghreb, que toutes les tribus l’avaient proclamé souverain, et qu’il s’était emparé de la ville de Tlemcen, où il avait fait élever une mosquée. On l’informa également du courage entreprenant de l’imam, de ses moyens, du grand nombre de ses sujets et de leur, puissance à la guerre, et on lui parla du dessein qu’il avait conçu de s’emparer de l’Ifrîkya. A ces nouvelles, le khalife craignit qu’Edriss, rendu puissant, ne vînt un jour l’attaquer, car il n’ignorait pas ses bonnes qualités et l’amour que les hommes portaient à ceux qui appartenaient à la famille du Prophète. (Que lieu le comble de bénédictions et lui accorde le salut !) Cette pensée l’épouvanta et l’inquiéta vivement ; il envoya chercher son premier ministre Yahya ben Khaled ben Bermak, homme puissant et entendu dans les affaires du gouvernement, pour lui raconter ce qu’il venait d’apprendre, et lui demander conseil. Il lui dit qu’Edriss descendait d’Ali fils d’Abou Thaleb et de Fatime, fi lle du Prophète (que; Dieu le comble de bienfaits et lui accorde le salut !), qu’il avait affermi sa souveraineté qu’il commandait de nombreuses troupes, et qu’il s’était emparé de la ville de Tlemcen. «Tu sais, ajouta le khalife que Tlemcen est la porte de l’Ifrîkya, et que celui qui se rend maître de la porte est bientôt maître de la maison entière. J’avais résolu d’envoyer une forte armée pour faire périr Edriss ; mais ayant ensuite réfléchi à l’éloignement du pays, à la longueur de la route qui sépare l’Orient de l’Occident, j’ai vu qu’il était impossible aux armées de l’Irak d’aller jusque redans le Sous, qui est situé à l’Occident, et j’ai changé d’avis ; je ne sais que faire, donne-moi donc tes conseils. — Mon opinion, répondit Yahya ben Khaled, est que vous envoyiez un homme résolu, rusé, éloquent et audacieux, qui tuera votre ennemi et vous en débarrassera. — C’est bien, Yhya, ton opinion est bonne ; mais où trouver cet homme ? — Prince des croyants, reprit le ministre, je connais parmi les gens de votre suite un individu nommé Soliman ben Djérir, entreprenant, audacieux, fourbe et méchant, fort en discussion, éloquent et rusé : vous pourriez l’envoyer.

Qu’il parte à ]’instant, dit le khalife, Aussitôt le ministre se rendit chez Soliman ben Djérir, lui apprit ce dont il s’agissait et la mission dont le chargeait le prince des croyants, en lui promettant en récompense de l’élever aux premières dignités et de le combler de richesses et de biens ; il le munit de tout ce qui pouvait lui être nécessaire et le congédia. Soliman ben Djérir partit de Bagdad, et marcha avec diligence jusqu’à son arrivée dans le Maghreb. Il se heurta à Edriss dans la ville d’Oualily et le salua. L’imam lui ayant demandé son nom, son origine, sa résidence Habituelle et le motif de son voyage, il répondit qu’il était un des anciens serviteurs de son père, et qu’ayant eu de ses nouvelles, il était venu vers lui pour lui offrir ses services, sa fi délité, et le dévouement qu’il professait pour ceux de :la famille par excellence, qui étaient supérieurs à tous et n’étaient comparables qu’à eux-mêmes. Edriss, tranquillisé par ces paroles, l’accueillit avec joie, lui accorda sa confiance et son estime, et bientôt il ne lui permit plus de le quitter. Jusque-là l’imam ne s’était attaché particulièrement à personne, parce que, à cette époque, les habitants du Maghreb étaient grossiers et barbares; mais, reconnaissant la politesse, l’esprit, les talents et la science qu’il y avait chez Soliman ben Djérir, il lui accorda son affection entière. Dans les assemblées où Edriss siégeait au milieu des principaux Berbères et Kabyles, Soliman prenait la parole, parlait des vertus et de la sainteté de la famille, par excellence, et, faisant venir le discours sur l’imam Edriss, il disait que lui seul était imam, et qu’il n’y avait d’imam que lui. Il appuyait son raisonnement de démonstrations et de preuves évidentes, et gagnait ainsi le cœur d’Edriss. Mais tandis que celui-ci, frappé de tant d’esprit., de talent et de connaissances, l’admirait et l’aimait toujours plus, Soliman cherchait le moyen et le moment de tuer l’imam, chose jusque-là impossible, car Rachid le serviteur ne quittait jamais son maître. Enfin n, il arriva un jour que Rachid dut sortir pour faire quelques visites. Ben Djérir vint chez l’imam selon sa coutume, s’assit auprès de lui et lui adressa quelques paroles. Bien certain de l’absence de Rachid, il crut avoir trouvé l’occasion favorable de mettre son projet à exécution, et il dit à Edriss : «Seigneur, puissé-je vous être propice ! J’ai apporté avec moi de l’Orient un flacon d’essence odoriférante, et, comme il n’y en a point dans ce pays, j’ai pensé que c’était à vous qu’il appartenait d’en faire usage plutôt qu’à moi, qui ne suis rien auprès de vous, et c’est là ce que j’ai à vous offrir.» En même temps il sortit un flacon et le donna à Edriss, qui, après l’avoir remercié beaucoup de cette attention, l’ouvrit et se mit à en respirer le parfum. Ce qu’ayant vu, Soliman ben Djérir, qui savait avoir atteint son but, se leva et sortit tranquillement, feignant d’avoir un besoin à satisfaire.; il, se rendit chez lui, et aussitôt, sautant sur un superbe cheval, excellent coursier, qu’il tenait toujours prêt à l’événement, il sortit de la ville d’Oualily, pour se mettre en sûreté par la fuite. Le flacon était empoisonné. A peine Edriss eut-il respiré l’essence, que le poison, lui montant à la tête et se répandant bientôt dans le cerveau, l’étourdit, et il tomba sans connaissance la face contre terre, de sorte que personne ne put savoir ce qu’il avait, avant que Ben Djérir, auquel on ne pensait pas, se fût déjà fort éloigné. L’imam resta dans cet état jusqu’au soir et rendit l’âme (que Dieu lui fasse miséricorde !. Dès que le serviteur Rachid avait été informé de ce qui se passait, il était accouru en toute hâte et était arrivé auprès de son maître, qui respirait, encore, mais qui ne pouvait déjà plus proférer un seul mot, tant la mort était proche. Rachid, anéanti et ne sachant à quoi attribuer ce malheur, demeura au chevet d’Edriss jusqu’au dernier moment. L’imam Edriss mourut dans les derniers jours du. mois de raby el-aouel, an 177 (793 J. C.), après avoir gouverné le Maghreb pendant cinq ans et sept mois. On n’est pas d’accord sur le genre d’empoisonnement dont fut victime l’imam ; outre la version de l’essence que l’on vient de raconter, il en est d’autres qui rapportent qu’Edriss s’empoisonna en mangeant du chabel (alose), on bien des anguilles. Ceux-ci s’appuyent sur ce que l’imam fut pris durant son agonie d’un relâchement des parties génitales. Dieu connaît la vérité !

Cependant, après qu’on eut enseveli Edriss, Rachid demanda où était Soliman ben Djérir. On ne sut où le trouver, et bientôt des gens venus du dehors donnèrent la nouvelle qu’ils l’avaient rencontré à une distance de plusieurs milles de la ville. On comprit alors que c’était lui qui avait empoisonné l’imam, et aussitôt un grand nombre de Berbères et Rachid lui même, montant à cheval, partirent à sa poursuite : la nuit ne les arrêta point, et ils coururent tant que les chevaux eurent de forces ; ils succombèrent tous, excepté celui de Rachid, qui seul atteignit le fuyard au moment où il passait l’Oued Moulouïa. Rachid se précipita sur Soliman, lui coupa la main droite et lui porta trois coups de sabre sur la tête ; mais son cheval était à bout de forces, et il fut obligé de s’arrêter avant, d’avoir tué le traître qui, mutilé et couvent de sang, continua à fuir. Ben Djérir arriva dans l’Irak: des gens venus plus tard de Bagdad affirmèrent l’avoir vu manchot du bras droit, et marqué de plusieurs cicatrices à la tête.

Rachid, abandonnant la poursuite, retourna à la ville pour tranquilliser la population par sa présence et faire élever, un tombeau à l’imam. (Que Dieu très-haut lui fasse miséricorde et l’agrée !)

Edriss mourut sans enfants, mais il laissa sa femme enceinte. Mohammed Abd el-Malek ben Mohammed el-Ourak dit avoir lu, dans l’ouvrage intitulé Ed-Mekabès, dans El-Bekry, El-Bernoussy et plusieurs autres auteurs, qui traitent de l’histoire des Edrissites, que l’imam Edriss, fils d’Abd Allah, qui n’avait point eu d’enfants durant sa vie, laissa, en mourant, sa femme, Berbère de naissance et nommée Khanza, enceinte de sept mois.

Rachid, après avoir achevé de rendre les derniers devoirs à son maître, rassembla les chefs des tribus des principaux du peuple. «L’imam Edriss, leur dit-il, est mort sans enfants, mais Khanza, sa femme, est enceinte de sept mois, et, si vous le voulez bien, nous attendrons jusqu’au jour de son accouchement pour prendre un parti. S’il naît un garçon, nous l’élèverons, et, quand il sera homme, nous le proclamerons souverain ; car, descendant du prophète de Dieu, il apportera avec lui la bénédiction de la famille sacrée. S’il naît une fille, vous verrez ce que vous aurez à faire pour choisir entre vous un homme de bien. - Ils répondirent, ô vieillard béni ! pouvons-nous avoir d’autre avis que le vôtre ? Ne tenez-vous pas auprès de nous la place d’Edriss ? Comme lui donc soyez notre chef, dirigez notre culte, gouvernez-nous selon le Livre et le Sonna jusqu’au jour de l’accouchement de Khanza ; si elle nous donne un garçon, nous l’élèverons et le proclamerons souverain. Dans le cas contraire, nous ne serons point embarrassés ; car nul ici ne vous surpasse en vertus, en religion et en science !» Rachid, les remercia, et, après avoir prié avec eux, il les congédia. Il se mit donc à la tête des affaires, et gouverna les Berbères jusqu’au jour de l’accouchement de Khanza, qui mit au monde un garçon, d’une ressemblance frappante avec l’imam Edriss. Rachid présenta le nouveau-né aux principaux d’entre les Berbères, qui s’écrièrent unanimement : «C’est Edriss luimême! Edriss n’a pas cessé de vivre,» et l’on donna à l’enfant le nom de son père.

Rachid continua à gouverner les Berbères et, à veiller aux affaires. Dès que l’enfant eut cessé d’être allaité, il le prit auprès de lui, pour lui donner, une bonne éducation. Il commença par lui faire étudier le Koran (et à l’âge de huit ans, le jeune Edriss le savait entièrement par coeur). Il l’instruisit dans le Sonna, la doctrine, la grammaire, la poésie, les sentences et les pensées arabes, dans l’organisation et la direction des biens. Il le fi t exercer à monter à cheval, à lancer le javelot et lui enseigna l’art et les ruses de la guerre. A dix ans, Edriss, fils d’Edriss, possédait toutes ces connaissances. Rachid le présenta au peuple, pour le faire reconnaître souverain du Maghreb ; sa proclamation eut lieu dans la mosquée de la ville d’Oualily.

 

ZARc. Ibn Abî-, al-Anîs al-mutrib bi-rawd al-qirtâs fî ahbâr al-Maghrib wa târîh madînat Fâs. Trad., de l'arabe par BEAMIER Auguste, «Histoire des Souverains du Maghreb et annales de la ville de Fès», édit., L'imprimerie Impériale, Paris, 1860, 576 P.

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