15 Septembre 2024
Il est évident que l’officialisation de la naissance du Prophète (mawlid), répond à la fois à une conjoncture politique propre à la dynastie mérinide et à des anciennes querelles qui ont fait couler beaucoup d’encres entre les juristes musulmans. Le Maghreb et al-Andalus ont des communautés chrétiennes qui célébraient leurs fêtes à chaque fois que la situation politique l’avait permise. Les textes juridiques du Moyen-Âge, avaient dans leurs majorités prononcées des condamnations sans concession, en ce qui concerne en particulier la participation des musulmans aux fêtes chrétiennes à travers dâr al-islâm. Les propos tenus par les savants musulmans relèvent d’une application des textes coraniques et de la sunna du Prophète, ces textes si elle confirme un fait, c’est que les cérémonies des gens du livre ont exercé sur les musulmans une influence qui était loin d’être un fait passager, puisqu’après une islamisation plus au moins réussie, les discussions au tour de cette question n’avaient jamais cessé d’alimenter les fatâwî du Moyen-Âge. Déjà à l’époque zîrîde le texte d’al-Qabisî, grande référence du malikisme de l’Ifrîqiya, interdisait aux musulmans d’accepter les cadeaux que les chrétiens font aux musulmans pour leurs propres fêtes « beaucoup de musulmans ignorants, dit-il, acceptent leurs cadeaux à l’occasion de la fête du pain azyme (cîd al-fatîra) ... De même, il est blâmable d’accepter des cadeaux pour les fêtes des polythéistes au nombre desquelles figurent aussi Noël, Pâques et les Calendes de janvier chez nous, le saint Jean en Andalousie et le Baptême en Égypte. Ce sont tous des fêtes de polythéiste.... Au XIIe siècle, Ibn Rushd, Averroès avait interdit la vente des jouets à Noël, ainsi que toute fabrication ou vente des jouets ou autres dans la fête du nayrûz, ainsi que tous les cadeaux offerts le jour des fêtes polythéistes. La fête de la cansara, la Saint-Jean, ainsi que la naissance du Prophète Jésus « le fils de Marie », jusqu’à la fête des Calendes de janvier, le premier du mois, ont été réprouvé par les savants musulmans. De ce fait tous les jouets en forme d’animaux, telles les girafes qu’on avait coutume de fabriquer au nouvel an en Espagne et au Maghreb était interdit comme d’ailleurs les jours fériés.
En tout cas, du Xe siècle au XIVe siècle et d’Ibn Wadâh à al-cAzfî, l’opposition des juristes et des lettrés musulmans et leur mécontentement de cette tradition a été exprimés à travers de nombreuses consultations juridiques et par des initiatives pratiques pour faire face aux fêtes chrétiennes. A Sabta le célèbre notable de la ville al-cAzfî décrétait la célébration du mawlid. Dans le cas des Mérinides, la question dépasse une simple réaction à ces fêtes chrétiennes. Tous d’abord, l’État dans le mois de dû al-qicda 691 de l’Hégire, sous l’autorité de l’émîr des Musulmans décréta la célébration solennelle du mawlid dans tout le royaume, et fixa la fête au mois de Rabîc al-‘awal. L’historiographie attribue cet acte à la dynastie mérinide, il constitue un élément fédérateur de toutes les composantes de la société médiéval au Maghrib occidental et au-delà des frontières de la souveraineté. La nouveauté de cet acte est liée à l’officialisation de l’État d’une fête longtemps réclamait par les docteurs de la loi et qui d’une manière ou d’une autre rapproche les malikites et le pouvoir en place. Il constitue l’acte unitaire que les Mérinides recherchaient à travers l’application de mesures concrètes pour séduire les intellectuels qui doutaient des capacités des nouveaux maîtres du pays. L’acte de l’officialisation est une manière pratique d’appliquer le principe d’al-amr bi-al-macrûf wa al-nahy cani al-munkar chère à tous les savants musulmans et qui constitue le fer de lance de tous les mouvements politico-religieux depuis les Almoravides. Cette même fête, tant voulu par les Mérinides, a été critiqué par les traditionalistes qui ont constaté les dérives des tawâ’if et des masses populaires qui allaient au-delà de la fête de la naissance.