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Histoire du Maghreb تاريخ المغرب الكبير

Le régime foncier du Maghreb et la conquête arabe (1).

La conquête musulmane avait engendré une politique de transfert de propriété foncière, après que les conquérants aient changé de politique et aient pris la décision de s'installer au milieu des populations locales. Pour saisir la politique foncière, son organisation territoriale, nous avons un élément qui complique la tâche: le mode d'occupation du sol, à cause des guerres, des luttes et des crises à chaque fois qu'un gouverneur du calife arrive à Qayrawân ou qu'un pouvoir politique est mis en place. Le Maghreb est considéré comme le fruit d'une conquête par les armes chez la majorité des juristes musulmans, son sol est donc impropre, son origine n'était pas un territoire de l'Islâm, il fallait le purifier par le harâj, comme le zakât qui purifie les revenus et l'âme du musulman. Le non-musulman vivant dans le pays d'Islâm devait se purifier par la jizya (impôt de capitation), mais aussi par le harâj, puisque la terre revient par droit aux musulmans -à la Umma islamique-. Dans cette loi religieuse le seul élément important est d'interroger nos sources arabes sur le système réservé au Maghreb, dans le sens d'un jihâd historique et non pas au sens du dogme du jihâd. Dans le déroulement du jihâd historique, il est nécessaire de rappeler que le chroniqueur Égyptien Ibn cAbd al-Hakam, nous informe que les Arabes avant Abû al-Muhâjir reviennent souvent en Orient après une campagne militaire quelque soit sont issue, mais la mise en place d'un dispositif militaire permanent, avec une meilleure connaissance du terrain et la construction de châteaux forts a incité les tribus arabes à s'installer. Cette évolution avait poussé les responsables de la conquête à réorganiser la fiscalité et le contrôle d'une paysannerie à la fois juive, chrétienne et berbère sédentaire.

En effet, les lettrés musulmans, comme d'ailleurs dans les conquêtes de l'orient, se sont prononcés sur la fameuse question: l'Afrique du Nord a-t-elle été conquise militairement (cUnwa) ou par un traité de paix (Sulh)? Dans le dogme et l'institution du jihâd, la réponse des lettrés musulmans entretient une certaine contradiction. Ils distinguent parmi les prises faites à l'ennemi, entre les biens et la terre conquise. Les biens comportent les armes, les montures, les captifs etc.... Cet ensemble est considéré comme butin (Ghanîma). Les quatre cinquièmes était partagés entre les soldats présents au combat, tandis que le cinquième du butin -le quint (al-Humus) est la part qui revient à Allâh, c'est-à-dire à l'Etat. Les terres conquises, par contre, reviennent dans leur totalité à la communauté musulmane (fay'), c'est-à-dire que ces terres sont considérées comme un bien collectif des musulmans, mais là deux cas juridiques complexes se posent: s'il s'agit de terres conquises par les armes (cUnwa), leur administration revient à Bayt al-Mâl (Trésor public), puisque c'est un bien de la communauté, et, même si on maintient les anciens propriétaires, c'est uniquement au titre de travailleurs qui payent un loyer annuel (Harâj Sanawî), c'est-à-dire que le harâj annuel imposé aux byzantins et aux berbères par cAbd Allâh b. Sacd est considéré par les juristes comme le point de départ de la politique foncière en Ifrîqiya. Le deuxième cas est constitué des territoires conquis par un traité de capitation, puisque les propriétaires se sont soumis de plein gré aux conquérants, ils paient un tribut plus la taxe de capitation (Jizya). Dans tous les cas de figure ces impôts sont liés à la confession, à l'homme plus qu'à ses biens.

 

Le problème que soulève le statut des terres au Maghreb a fait l'objet de débat et de divergence d'opinions entre les juristes musulmans, à cause de la la lutte à la fois militaire et politique entre un ensemble de composantes de la société: les berbères d'un côté qui ont bénéficié d'une amnistie, les byzantins qui sont exilés au nord de la méditerranée, les arabes qui n'arrivent pas a trouver une unité politique et un accord avec le centre de l'Islâm -le calife- et enfin les révoltes et l'esprit d'autonomie et d'indépendance que les habitants du Maghreb ont exprimé à travers les doctrines shicites et harijites. Tout cet ensemble rend la question du statut de la terre très difficile à cerner, même si les communautés qui avaient gardé leur ancienne religion étaient soumises au harâj et à la jizya. Pour répondre à ce problème, nous avons jugé utile de voir deux préliminaires: l'Égypte qui avait gouverné pendant longtemps le Maghreb sur le plan militaire et politique, puis la Cyrénaïque, base arrière des troupes de la conquête. Il est évident que la conquête arabe avait non pas seulement des visées de conversion à l'Islâm, mais, aussi, il y avait au coeur du projet la terre. Il n'est pas surprenant de voir que les conquérants arabes voulaient être des propriétaires en Égypte, à cause de la victoire militaire incontestable qui conduisait à une forte demande des participants pour mettre ces terres sous le régime fay' et ghanîma, seul moyen qui leur permettait de mettre la main sur la terre en toute légalité.

Le gouverneur byzantin en difficulté et en échec militaire avait demandé au chef militaire cAmr b. al-cÂs la négociation d'un traité de paix, comme porte de sortie pour les populations d'Égypte, en particulier les propriétaires des terres qui avaient beaucoup à perdre d'une politique purement militaire. A défaut d'une décision personnelle de cAmr b. al-cÂs, il avait engagé des consultations avec ces compagnons de haut rang. Les sources arabes nous informent sur les divergences entre deux tendances qui s'affrontent au sommet de la direction militaire. La ligne dure qui privilégie le fay' et la ghanîma était majoritaire, puisque ses partisans allaient jusqu'à dire que le devoir de cAmr était de refuser la paix et la jizya pour que les terres d'Égypte deviennent fay' et ghanîma aux musulmans. Le paradoxe juridique de l'affaire de l'Égypte réside dans le fait que les sources arabes soulignent que la province a été conquise par un traité de paix, alors que les compagnons de cAmr et parmi eux Sufyân b. Wahb al-Hulâmî et al-Zubayr b. al-cAwân ont demandé le partage des terres suivant la tradition prophétique, puisque ils avaient partagé les terres des juifs haybar. Ce conflit à l'intérieur de la direction militaire d'Égypte allait se résoudre par l'intervention de la haute autorité musulmane. Le calife cUmar b. al-Hattâb avait exigé l'application de la politique d'al-Iqrâr, c'est-à-dire que les terres de régime sulh et même celles conquises militairement, comme Alexandrie, devraient rester sous le régime de la dimma, afin que l'impôt de la jizya et du harâj, source financière inestimable pour l'Etat islamique, contribue à renforcer les positions politiques des musulmans.

cAmr Ibn al-cÂs avait rompu avec la tradition politique d'installer le centre du pouvoir politique et militaire dans le port d'Alexandrie. Il avait choisi Babylone comme capitale de la province, en créant un centre de rassemblement politique et religieux et une Mosquée. Sa nouvelle cité, du nom d'al-Fustât ou Fustât Misr, allait jouer un grand rôle dans la stabilité de la province d'Égypte. Au moment de l'urbanisation de la province et en particulier de la capitale, cAmr avait partagé les terres entre les tribus arabes, les plus actives dans la conquête de l'Égypte. La tribu Quraysh, al-Ansâr, Aslama, Ghafâr, Jahîna ont donc bénéficié des lots pour la construction de maisons dans la capitale de la province, tandis que la tribu Hamâdân et ces alliées ont préféré avoir des terres à al-Jîza, qui dispose elle aussi d'un camp militaire fondé en 21 H par cAmr b. al-cÂs. Ce changement de politique foncière à travers ces réalisations sur les terres d'al-Fustât, al-Jîza et leurs faubourgs était le résultat d'un statut contradictoire qui reconnaît à la fois le traité de capitation et les revendications foncières des chefs arabes. Le montant de la capitation payée par les chrétiens coptes et les juifs était entre un et quatre dinârs par an pour chaque mâle, tandis que l'impôt lié à la terre était calculé sur la base de la surface exploitée, la fourniture des grains, d'huile, de vinaigre, de vêtements et d'animaux. La collecte des impôts revenait aux percepteurs et à l'église qui répartissait les charges entre individus et exploitations. Dans les terres d'agriculture des morts (Ard al-Amwât) et de la noblesse byzantine exilée après la conquête, la propriété revenait à la communauté des musulmans. Mais l'Etat avait adopté deux systèmes de gestion: faire travailler les paysans comme ouvriers agricoles ou comme métayers ou, tout simplement, faire une redistribution de ces terres selon le système d'al-Iqtâc aux fonctionnaires de l'armée et à l'administration de la province. Un discours de cAmr b. al-cÂs confirme l'étendue de cette politique foncière. Il exhorta les conquérants à aller dans les campagnes au côtés des coptes. Ce repeuplement de la campagne n'était pas sans conséquence sur la démographie et la propriété d'un grand nombre de chrétiens. Nous savons qu'une grande partie des terres d'Égypte était entre les mains des populations coptes, à condition qu'ils paient une somme d'argent au trésor public (Bayt al-Mâl), ce qui nous permet de dire qu'il ne s'agit pas des terres des coptes, surtout que le droit musulman considère ces terres comme une propriété de la Umma, donc il était question des terres de la noblesse, que les gouverneurs transformaient en terre Iqtâc. A partir du règne du calife Mucâwiya b. Abî Sufyân, des faits confirment cette politique financière en Égypte:

1-cAmr b. al-cÂs avait offert des terres d'agriculture à Wardân (Mawlâ).

2-Le calife Mucâwiya avait notifié au percepteur du trésor public d'Égypte de prélever régulièrement trois dinârs de la jizya sur chaque personne au lieu de deux dinârs, une politique d'augmentation plus lourde à supporter par les populations chrétiennes. Ce même calife avait donné une commune à son fils Yazîd, ce qui provoqua la colère des Musulmans. La politique du général arabe n'avait pas épargné la Tripolitaine qui faisait partie du territoire du gouvernerat d'Égypte. Les sources arabes avaient retenu l'un des textes le plus significatif concernant la conquête de la Cyrénaïque: le traité de Barqa, conclu en particulier avec les berbères Luwâta. Dans ce traité cAmr b. al-cÂs pour acquitter la capitation imposée aux populations, inséra la clause suivante: "Vendez vos enfants pour subvenir à la capitation que vous avez à payer", et il aurait prononcé du haut de la chaire ces paroles "les habitants de la Pentapole ont un traité de paix qu'on doit observer scrupuleusement envers eux (li-ahli antâbulusa cahdun yûfâ lahum bihi).

La conquête de la Cyrénaïque, de Barqa à Sabrata au nord et Sarûs, Zawîla, Wadân, Hun et Sukna dans le pays du sud avait duré de l'an 21 à 23 H. Cette conquête qui apparaît très facile et limitée dans le temps, l'est aussi en ce qui concerne la situation de la terre. La ville de Barqa et Zawila était sous le régime Sulh. Dans les sources arabes les détails ne manquent pas sur le respect de ces deux traités par les signataires, alors que l'ensemble du territoire de la Cyrénaïque avait subi la guerre comme à Tripoli en l'an 22 H/ 642-3 ap.J.C et Sabrata dans la même année, ainsi que Labda et Surt. Donc pour les Musulmans les terres de la Cyrénaïque, à l'exception de Barqa et Zawîla, ont été conquises par les armes. Par conséquent un vaste territoire est devenu propriété de la Umma islamique est terre du harâj.

Abû cAbd Allâh b. Abî Zayd dans son livre "al-Nawâdir wa al-Ziyâdât calâ al-Mudawana", nous rapporte que le juriste de l'Ifrîqiya Sahnûn (160-240 H/ 777-854 ap.J.C), n'avait aucune opinion juridique sur le statut des terres en Ifrîqiya et au Maghrib, tandis que le chroniqueur Ibn cAbd al-Halîm indique que les lettrés et les docteurs de la loi ont parlé d'un système particulier au Maghreb connu sous la formule "Aslama calayhâ ahluhâ", comme le pays des Masmûda et Marrakech, où la forme juridique Aslama est mieux applicable que cUnwa et Sulh, ce que confirme al-Wansharîsî dans le Micyâr et l'auteur d'al-Istiqsâ'. Les discours théoriques entre les juristes sur le régime des terres prouvent que le sort de la propriété fut déterminé par la conquête et les décisions des chefs militaires en fonctions des données conjoncturelles. C'est l'opinion du juriste Abû Dâwud dans Kitâb al-Amwâl qui insiste sur le devoir des juristes de prendre en considération les paramètres suivants:

1-La duré qui sépare la conquête arabe du juriste.

2-La vente et l'achat des terres des siècles après la conquête rend difficile d'avoir une opinion exacte et surtout applicable aux populations et aux propriétaires des terres.

Nous citons comme exemple le cas de Tunis qui avait changé de régime avant même sa conquête dans un temps plus court. Le géographe al-Bakrî rapporte que "Hasân b. al-Nucmân marcha jusqu'à Artâh (localité proche de Tunis à côté de la porte Artâh) et livra un combat aux Rûm dans la plaine de Tunis. Alors ils le prièrent de ne pas entrer par force chez eux, et ils s'engagèrent à lui payer le harâj et à fournir des montures, en nombre suffisant, pour lui et pour ses compagnons". En acceptant ces propositions, les Rûm, aux dires d'al-Bakrî, se sont embarqués dans plusieurs navires avec leurs biens précieux et ont abandonné la ville. Au même moment le gouverneur de Tunis avait obtenu les terres qui se trouvent entre les deux montagnes (Bayn al-Jabalayn) nommé Fahs Mornac (La plaine de Mornac). Donc, il avait suffit au gouverneur de la ville de Tunis de tromper le général arabe pour que le harâj devint inopérant à cause de la fuite des habitants et au gouverneur d'obtenir des terres selon les conditions du traité avant l'ouverture des portes de la ville aux troupes arabes. La politique fiscale qui touche le fay' du Maghreb avait varié selon le tempérament et le zèle religieux des chefs militaires, des gouverneurs et des réformes des califes d'orient, soit pour éviter les révoltes ou faire face à l'effondrement des revenus fiscaux et dans les deux cas la question de la fiscalité légale et stricte se pose face aux impératifs économiques de l'empire.

La mutation militaire au Maghreb et l'évolution de l'organisation politique, économique et sociale au cours de cette conquête et après la fin des opérations militaires, posent les questions de la propriété foncière de ce territoire conquis par les Arabes: les anciens occupants avaient-ils conservé la propriété en se convertissant à l'Islâm? La conquête avait-elle engendré des terres vacantes? Le pouvoir central en Orient était-il soucieux de l'application stricte des principes et des textes de l'Islâm? A ces questions et à d'autres, nous allons répondre à partir des données de la tradition historico-géographique arabe.

Deux remarques s'imposent concernant la situation foncière durant la conquête arabe:

1-Avant la fondation d'al-Qayrawân, les conquérants ont adopté la forme primitive ou tribale de la guerre (les razzias), sans objectif d'installation durable, avec des évacuations militaires spectaculaires, comme si le butin constitue la manoeuvre essentielle de la guerre. De la ville de Barqa, cAmr b. al-cÂs exigea des populations 10 000 dinârs, avec une autonomie de la ville telle, que même le percepteur de l'impôt n'ait besoin de se déplacer, puisque les habitants lui envoyaient cette somme. Cette situation juridique de la ville de Barqa est le seul exemple très clair qui applique le système de sulh, sur la base d'un traité négocié sans combat entre les protagonistes, où la terre et les personnes sont soumis aux deux impôts en même temps (Jizya et Harâj) ce que les juristes appellent "al-Sulhiya al-Mufasala". La victoire des Musulmans contre Grégoire à Sufetula avait débouché sur un accord de "Paiement total", c'est-à-dire l'évacuation de l'Ifrîqiya -la terre- en échange d'une somme d'argent (Harâj Sanawî). Dans l'accord des deux protagonistes, on dégage le système des terres conquises par force et où la population devait deux impôts de la guerre: la jizya pour chaque personne et le harâj sur la terre, ce que les juristes appellent "al-Mujmala". Si dans le cas de Barqa, les propriétaires restent maîtres de leurs biens, le cas du sulh d'Ifrîqiya laisse une ambiguïté sur la propriété, parce que le traité de paix était conclu après les combats et la victoire de cAbd Allâh b. Sacd, surtout que son retour en Orient compliqua la situation juridique, même si les terres restèrent théoriquement sous le statut de la cUnwa. Ces deux événements politiques issus d'actions militaires préparées avec soin en Orient, montrent que la politique foncière n'était pas à l'ordre du jour des conquérants. Ce qui explique la rareté d'informations sur la propriété et l'organisation foncière au Maghreb. Il faut attendre la campagne de cUqba b. Nâfic pour trouver un indice de l'occupation et le partage des terres -lots- pour construire des maisons au moment de la fondation de la ville de Qayrawân. L'acte de prendre des terres et les partager entre les musulmans est une application du système des terres cUnwa. La distribution des terres entre les musulmans à al-Qayrawân concerne uniquement les terres vacantes. La propriété, dans ce cas précis, revient aux musulmans, puisque c'est un abandon sans combat (Juliya calayhâ bi-ghayr Qitâl). L'autorité musulmane, dans ce cas, et pour ce qu'elle juge de l'intérêt de la communauté, avait le droit de procéder légalement à la distribution de ces terres aux musulmans (Iqtâc al-Ard al-Mahjûra). Donc la répartition de la terre d'al-Qayrawân entre dans ce cas juridique de "Iqtâc Tamlîk", c'est-à-dire que ces terres, après la distribution par cUqba b. Nâfic, sont devenues des propriétés privées "Milkiya Hâsa". La tradition historico-géographique nous d'écrit cet espace d'al-Qayrawân comme étant un espace abandonné sans intérêt économique, mais stratégique pour la fondation d'une ville musulmane au coeur de l'Ifrîqiya. Cette abandon qui ne nous semble pas daté du moment de la conquête de cUqba, ne change rien à la donne juridique des terres considérées comme vacantes

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