26 Septembre 2007
Le destin politique des tribus mérinide au Maghrib occidental avait commencé après l’installation de l’autorité de la famille cAbd al-Haqq à la tête de cette confédération (1), et le contexte politico-économique de l’empire almohade après la défaite d’al-cUqâb, que les Masmûdiens avaient essuyé le 14 safar 609 de l'hégire / 12 juillet 1212 à Las Navas de Tolosa, sur le sol ibérique. Les tribus Banû Marîn appartenaient à la famille berbère Zanâta. Ils nomadisaient entre la région du Zâb (l’actuelle Biskra) et la moyenne vallée de Malwiya (2). Sous la dynastie almohade, les Banû Marîn ont adoptés une position politique, qui refusait la soumission au pouvoir centrale en matière fiscale. Ce refus a été en quelque sorte le début d’un choix politique et économique, puisque les pâturages des confins du désert n’avaient pas permis une richesse économique. Ces mêmes territoires hostiles et difficiles avaient contribué à garder les traditions politiques (3) ainsi que de préserver leur force dans la course au partage de l’héritage almohade sur des bases économiques. Les Mérinides étaient concurrencés, durant la période almohade, par deux forces politiques et militaires. D’une part, les tribus Macqil et d’autre part la fermeté du pouvoir almohade à l’égard de ces tribus qui faisaient la guerre à leur allié au Maghrib central. La concurrence et l’exclusion économique ont contribué à la naissance d’un projet politique au sein de la société mérinide. Cette dernière voulait récupérer l’espace économique perdu à l’époque almohade. L’union entre les composantes de la société tribale mérinide était entamé par leurs chefs militaires, autour de la revendication économique des pâturages entre Sijilmâsa et la région du Zâb au Maghrib central. L’historiographie mérinide signale que ces derniers n’avaient pas cessé de réclamer à travers des actions militaires leurs anciens territoires (4). Dès 1194-95, l’autorité d’un chef mérinide Mahyû b. Abî Bakr b. Hamâma avait fait sortir les Mérinides de leur retraite de la scène politique de l'occident musulman, pour entreprendre la guerre sainte au côté des Almohades, lors de la célèbre victoire d’Alarcos, à sa mort martyr de ses blessures, son fils cAbd al-Haqq b. Mahyû, père fondateur de la dynastie mérinide, avait pris le commandement des tribus Banû Marîn.
Les Mérinides, profitant de la décomposition politique et sociale de l’empire almohade, allaient mettre en marche leur puissance militaire, au service de leurs «revanches» sur un pouvoir qui les avaient privés de leurs pâturages fertiles. Le comportement des Mérinides vis-à-vis de l’espace du Maghrib occidental explique en grande partie la faible préparation politique, avant leur sortie des territoires traditionnels. La conquête du Maghrib occidental par les Mérinide répondait à un besoin économique de la société, puisqu’ils avaient caressé le rêve de briser l’encerclement établi par les Almohades et leur allié depuis le règne du premier calife cAbd al-Mu’min b. cAliy al-Gûmî.
Les violences et les révoltes qui ont suivi la défaite almohade de Las Navas de Tolosa (al-cUqâb) ont conduit les tribus du Maghrib central à une course pour le partage de l’héritage de l’empire almohade. Les tribus Banî cAbd al-Wâd, anciens alliés des califes almohades, ont fait en sorte de garder leurs privilèges sur la zone de Tlemcen et le Maghrib central. Les Almohades, à différentes reprises, ont demandé l’aide des Banû cAbd al-Wâd contre l’anarchie de leurs frères ennemis, les Mérinides, en échange de rester maître et propriétaire des pâturages des alentours de Tlemcen. Les guerres continuelles des Banû cAbd al-Wâd, relatait par l’historiographie, sont donc orientées par cet aspect purement économique, qui allait se transformer, après la défaite almohade, en une stratégie de pouvoir et d’indépendance. Yaghmurâsan b. Zayân, le fondateur de la dynastie, avait mené une guerre presque continuelle aux Mérinides et aux Hafsîdes pour défendre Tlemcen sa capitale qui était sous les convoitises de ces deux dynasties de l'occident musulman. Coincé géographiquement entre ces deux dernières puissances, les Banû cAbd al-Wâd ont recouru à toutes les alliances possibles pour garder leur indépendance, en particulier la ville la plus florissante du Maghrib central. Tlemcen était devenu une cité commerçante incontournable et démographiquement importante après l’invasion hilalienne et la destruction de la ville de Tâhert aux-environs de 1202.
Une fois que la mise en place du pouvoir politique s’est rétablie en Occident Musulman, et, que les frontières, plus au moins, se sont tracées entre les trois dynasties de l'occident musulman, la capitale des Banî cAbd al-Wâd avait trouvé tout son prestige commercial et les négociants chrétiens Pisans, vénitiens, Génois, Catalans et provençaux sont devenus les hôtes du sultan zayanide (5). Tlemcen a été aussi une capitale et une demeure des savants et des docteurs de la loi et les traditions. Depuis le XIe siècle des jurisconsultes connaissant par coeur les décisions légales fondées sur l’analogie et conformes au système enseignée par Mâlik b. Anas.
Le calife al-Mansûr avait en quelque sorte fait du rejet du mahdisme, un acte symbolique pour se débarrasser de la lourdeur de l’aristocratie des chefs almohades (shuyûhs al-masâmida), les tout-puissants garants du mahdisme, sur le fonctionnement de l'état. En refusant le mahdisme et l’infaillibilité de l’Imâm, ainsi que le rejet officiel de l’interprétation allégorique des versets coranique (ta’wîl), il avait en même temps continué la politique d’interdiction des ouvrages des applications juridiques de la loi musulmane (furûc) (6). L’officialisation du rejet et sa nature publique avait remis en question l’histoire généalogique, symbolique et référentielle au fondateur Muhammad Ibn Tûmart et sa mission. Les héritiers de l’Imâmat mahdiste étaient les califes almohades (7) qui se trouvent donc confronté à la légitimation à la fois de leur pouvoir et de leur titre califiens (8).
Le retour du malikisme commence par cette réforme de rejet du mahdisme tûmartienne. Si le tawhîd reste encore en course, il laisse la place à un développement du malikisme tûmartienne, même dans les rouages des autorités, puisque la crise du pouvoir au sein de la famille cAbd al-Mu’min suppose naturellement l’acceptation des alliées de tout bord. Le malikisme dans son retour à la fin des Almohades allait être influencé par l’étude du Qur’ân et des hadîts du Prophète. Une réforme par rapport au malikisme almoravide qui faisait de l’étude des ouvrages des furûc la base préparatoire et fondamentale de l’enseignement. Successivement les traités malikites et les sciences des sources (al-‘usûl) ont été relancé pour une synthèse entre les rigorismes des fuqahâ’ almoravide et le conservatisme almohade. Pour triompher sur la scène intellectuelle et religieuse au Maghrib, les malikites sous le feu de trois critiques: ghazalienne, mahdiste et l’erreur des fuqahâ’ almoravide, ont pris en considération les changements qui se sont produits depuis la fin des Almoravides et au cours de la dynastie almohade. Ce qui d’ailleurs ressort des écrits de l’époque mérinide, surtout en ce qui concerne la présence du shicisme Mahdiste almohade et des débats qui n'ont fini pas autour des grandes questions concernant la naissance des tarîqa des pauvres implantait au Maghrib (9). Un autre élément avait influencé ce retour s’est la composition de la carte politique du Maghreb et de l’Andalousie. La naissance de trois dynasties du Maghreb, le royaume de Grenade en Espagne musulmane et la reconquista qui faisait rage en Andalousie, ont plongé les confédérations tribales dans la nostalgie du retour à la période de gloire militaire. Donc une sorte de nostalgie traverse la période de la fin du XIIIe siècle et le XIVe siècle, avec le doute, même si les Mérinides ont permis au Maghreb de caresser le rêve de l’unité.
La période mérinide reste une énigme pour les historiens de tout bord, en principe sur la question de leur islamisation, puisque la période des efforts politiques mérinides était sans teinte idéologique, c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas cherché un réformateur (dâcî) et une dacwa dîniya, si ont les compare avec les deux périodes almoravide et almohade. Par conséquent, on remarque que leurs poussées sur la scène politique du Maghreb résident dans les besoins économiques et la nostalgie du territoire perdu, ce qui nous renvoie à la question suivante: la période mérinide était-elle une période de transition entre les dynasties à base d’une dacwa et les dynasties sharifiennes?. Il est vrai que les Mérinides ont pratiqué la politique de rapprochement avec les shurafâ’ du Maghrib al-Aqsâ, mais la question reste toujours d’actualité. Comment les Mérinides sur lesquelles nous connaissons que peu au niveau religieux allait s’aventurer dans une conquête à des citadelles citadine?. N’est-il pas le premier pas vers un pluralisme au sein des lettrés musulmans et l’émergence du soufisme au Maghrib occidental qui va ouvrir la voix au sharifisme et au maraboutisme au Maghrib al-Aqsâ.
La dacwa dîniya est un élément essentiel pour sortir d’un territoire traditionnel qu’il soit fixe ou de saisons. Les Mérinides de mode de vie pastorale occupaient un territoire de saisons. Le parcours, bien défini par la tradition pastorale, permettait à ce groupement de tribus de nomadiser librement. L’indépendance totale où relative se traduit par le refus de payer les impôts aux autorités centrales, même si elles reconnaissent son autorité politique. Cette gestion inter-tribal est géré par des lois ancestrales, un héritage plus précieux que la jurisprudence elle-même aux yeux des tribus. Ce regroupement préservé des conflits militaires à grande échelle garde son unité économique et politique. Les changements à l’intérieur de ce système ne peuvent se produire, sauf si ces groupes allaient sortir au nom d’un projet politico-religieux, l’étendard de la guerre juste aux yeux du groupe face à la mosaïque tribale du Maghrib al-Aqsâ. Les Mérinides n’avaient pas cette dacwa dîniya, il se déferle sur le territoire dans des conditions spécifiques liées à la défaite d’al-cUqâb en Espagne musulmane. La défaite a modifié l’équilibre économique, politique et démographique des grandes régions du Maghrib. Dans ces conditions, les Mérinides veulent comme d’ailleurs les banû cAbd al-Wâd et les tribus arabes profitaient de la situation, pour gagner des nouveaux parcours économiques au tour des grandes villes, considérait comme le grenier de la cité et du pouvoir en place. Le pragmatisme économique allait se transformer en un projet de conquête sans teinte idéologique. L’historiographie mérinides, d’ailleurs n’avait évoqué que l’amour de Dieu et la piété des fondateurs. Sur le projet, la dacwa dîniya, les Mérinides l’avaient fabriqué au cours de leurs règnes, une différence capitale par rapport à leurs prédécesseurs. Si les Almoravides et les Almohades ont perfectionné les deux projets fondateurs, les Mérinides ont rétabli le projet et la légitimité qu’après leur conquête militaire.
L’historiographie mérinide est peu concluante qu’ont-ils s’agit d’évoquer les premiers mérinides. Ils sont représentés comme toutes les tribus du Maghrib al-Aqsâ, guerriers et éleveurs, sans objectif politique, mais très attentif à la situation du pays et des grands projets des souverains mu’minides comme la guerre sainte en Andalousie où ils participent comme les autres à cet effort communautaire (10).
Des travaux sur l’Islâm des premiers mérinides ont fait de l’opposition des gens de Fès aux nouveaux conquérants du pouvoir, l’un des piliers de leurs travaux (11). C’est vrai, que la ville sous l’influence des fuqahâ’ et capitale intellectuelle du malikisme citadin, résiste pour trouver un compromis entre les nouveaux venus sur la scène politiques et les intérêts des groupes sociaux fâsî.
(1)-N: on note que les auteurs médiévaux avaient signalé l’autonomie et l’indépendance des tribus mérinides avant al-cUqâb, d’une part les Mérinides avaient géré avec une grande autonomie l’économie modeste des pâturages, de l’eau, et des élevages... . Et d’autre part ils avaient disposé d’une indépendance politique, qui allait donner une image des Mérinides comme force politique naissante loin de la dislocation de l’empire almohade, même s’ils avaient pu profiter de cet événement. Autrement dit, les Mérinides avaient représenté une force politique originale, par rapports aux autres forces, qui ont été sous la domination almohade.
(2)-IBN HALDÛN cA., al-cIbar..., T., VII, tx., ar., p., 221.
(3)-ANONYME, al-Dahîra al-saniya fî târîh al-dawla al-Marîniya, édit., Dâr al-Mansûr, Rabat, 1972, p., 25.
(4)-Sur les premiers affrontements entre les Almohades et les Zanâta orientaux, nous citons: IBN cIDÂRÎ, al-Bayân..., partie almohade..., pp., 18-19-20-21.
(5)-De 1229-1269 , les Banû cAbd al-Wâd ont visé l’ensemble du territoire almohade surtout au Maghrib occidental.
(6)-Le calife al-Mansûr avait ordonné de brûler la Mudawana de Sahnûn, le Muhtasar et le Nawâdir d’Ibn Zayd et le livre al-Tahdîb d’al-Barâdcî, même pratique que les Almoravides contre l’Ihyâ’; sur cette question connue sous le nom de Qadiyat al-ihrâq, nous citons:
-AGNOUCHE Abdelatif, Histoire politique du Maroc..., p., 162.
-KABLY Mohamed, Ramz al-ihyâ’ wa qadiyat al-hukm..., pp., 21 sq.
-cAFYA cAbdelkader, Sumûd al-madhab al-mâlikî wa istimrâriyatihi bi-l-Maghrib, dans Majallat Kulliyat al-Sharîca, N° 15, 1984, Fès, p., 92.
(7)-AGNOUCHE Abdelatif, Histoire politique du Maroc...., p., 162. Selon l’expression de l’auteur: «cAbd al-Mu’min avait représenté un vizirat mahdiste et non un vizirat du prophètat comme les califes d'orient».
(8)-VAN BERCHEM Max, Titres califiens d'occident..., pp., 278 sq.
(9)-AL-WANSHARÎSÎ, al-Micyâr...., T., 11, op. cit., pp., l’auteur rapporte plusieurs fatwa de juristes sur la question des tarîqa comme celle du faqîh cAbd al-Dîn b. cAbd al-Salâm sur la réunion des fuqarâ’ pour le samâc et la danse pp., 29 à 34. La consultation juridique du faqîh de Bougie Abû Zayd cAbd al-Rahmân al-wâjlîsî sur les fuqarâ’ des zawâyyâ pp., 34 à 38. La fatwa du faqîh Abû al-Barakât b. al-Hajj al-Balfîqî sur le dikr pp., 38. et dans le Micyâr, T., 12. L’importante fatwa du faqîh-soufî Abû Ishâq al-Shâtibî sur la polémique de la voie et le maître entre les soufîs de l’Andalousie pp., 293 sq. Le soufî Ibn cAbbâd, l’historien Ibn Haldûn, et le faqîh al-Qabbâb et bien d’autres ont écrit sur ce sujet qui est devenu une affaire plus importante au XIVe siècle.
(10)-N: les généalogistes ont rattaché les Mérinides à cAliy b. Abî Tâlib, la famille cAbd al-Haqq est relevé au rang des grandes familles nobles descendant du Prophète, Ibn al-Ahmar: Rawdat al-nisrîn..., tx., fr., pp., 44-47-55. En 80 de l'hégire, leur islamisation était évoquée au cours de la conquête de Hasân b. al-Nucmân sous forme d’un compromis par lequel Hasân et ses lieutenants ont reconnu l’origine arabe des Zanâta, avec tout ce qui découle de cette acte au niveau de l’héritage et la propriété foncière, ANONYME, al-Dahîra al-Ssaniya..., pp., 13-14.
(11)-Nous citons à titre indicatif les travaux de: BEL Alfred, Les premiers mérinides et l’Islâm, dans Mélanges de Géographie et d’Orientalisme, offerts à E. F. GAUTIER, Tours, 1937, pp., 34-44.
-SHATZMILLER Maya, Les premiers mérinides et le milieu religieux, dans S. I., XLIII, 1976, pp., 109 à 118; et Islam de campagne et Islâm de ville: le facteur religieux à l’avènement des Mérinides, dans S. I., LI, 1980, pp., 123 à 136.