5 Octobre 2008
Dieu a distingué l'homme de tous les autres animaux en lui accordant la réflexion, faculté qui marque le commencement de la perfectibilité humaine et qui achève la noblesse de l'espèce, en lui assurant la supériorité sur (presque tous) les êtres. (Pour en comprendre la nature,) il faut savoir que la perception est l'acte par lequel l'être perceptif aperçoit en lui-même ce qui est en dehors de lui. De tous les êtres créés, les animaux sont les seuls qui jouissent de cette faculté : ils aperçoivent les objets extérieurs au moyen des sens externes dont Dieu les a pourvus. Il y en a cinq : l'ouïe, la vue, l'odorat, le goût et le toucher. L'homme possède, de plus, la faculté de la réflexion, qui, placée derrière les sens, lui procure la perception de ce qui est en dehors de lui. Cela se fait au moyen de certaines puissances, qui, situées dans les ventricules du cerveau, saisissent les formes des choses sensibles, les retournent dans l'entendement et leur donnent , par abstraction, d'autres formes. La réflexion, agissant derrière les sens, opère sur ces formes ; c'est elle et l'acte de l'entendement qui les retournent pour les décomposer et les combiner, et voilà ce que Dieu a désigné par le mot afida (cœurs) dans ce passage du Coran (sourate XVI, vers. 80) : Il vous a donné la vue, l'ouïe et des cœurs ». Fouad, le singulier d'afida, désigne ici la réflexion. Cette faculté a plusieurs degrés (d'intensité) : dans le premier, elle donne l'intelligence des choses extérieures qui se présentent dans un arrangement naturel ou conventionnel, de manière que l'homme puisse amener, par sa puissance, le résultat qu'il veut obtenir. Ce genre de réflexion se compose, en grande partie, de concepts ou simples idées, et s'appelle intelligence discernante. L'homme, aidé par elle, se procure les choses qui lui sont utiles, ainsi que la nourriture, et évite ce qui peut lui faire du mal. La réflexion du second degré enseigne les opinions reçues et les règles de conduite que l'homme doit observer dans ses transactions et dans le gouvernement des êtres de son espèce, et qui, en grande partie, se composent d'affirmations (ou propositions) dont l'exactitude s'est graduellement vérifiée par l'expérience. On désigne ce genre de réflexion par le nom d'intelligence expérimentale. Au troisième degré, la réflexion trouve la connaissance réelle ou hypothétique des choses qu'elle cherche derrière les sens et sur lesquelles elle ne peut agir directement. C'est là l'intelligence spéculative. Elle consiste en concepts et en affirmations, combinés d'une manière toute particulière, d'après certaines conditions spéciales, et fournit d'autres connaissances de la classe des concepts ou de celle des affirmations. Combinant alors ces connaissances avec d'autres, elle en produit encore de nouvelles. En dernier résultat, elle forme une idée exacte des choses existantes selon leurs espèces, leurs classes et leurs causes premières et secondaires. C'est ainsi qu'au moyen de la réflexion elle (l'âme) parvient à compléter sa nature et à devenir une intelligence pure et un esprit perceptif. C'est là ce qu'on appelle la réalisation de cette qualité qu'on nomme humanité.
Le monde (ou catégorie) des êtres se compose d'essences pures, telles que les
(quatre) éléments et leurs impressions, et des trois catégories des choses qui en dérivent, savoir : les minéraux, les plantes et les animaux. Tout ce que nous venons d'énumérer est dans la
dépendance de la puissance divine.
Le monde des êtres renferme encore les actions faites par les animaux avec intention et au moyen d'une puissance qu'ils ont reçue de Dieu. Parmi les actions, celles de l'espèce humaine ont de la
suite et de la régularité, tandis que celles des autres animaux se font sans règle et sans ordre. C'est au moyen de la réflexion qu'on aperçoit l'ordre naturel ou conventionnel des faits. Pour
faire qu'une chose ait lieu il faut en connaître les causes premières et secondaires ainsi que les conditions nécessaires à sa production ; en un mot, il faut connaître les principes d'où elle
dérive ; car les choses se présentent toujours dans un ordre et une liaison réguliers. Aucun effet ne peut avoir lieu qu'à la suite de son principe ; car ce qui est le premier ne saurait être le
dernier, et ce qui est le dernier ne saurait précéder le premier. Ces principes tirent souvent leur origine d'autres principes et ne se manifestent qu'à la suite de ceux-ci. Quelquefois il y a un
principe supérieur auquel il faut remonter ; d'autres fois, le principe immédiat forme le point d'arrêt. Quand on parvient au principe final, qui peut être du second degré, du troisième, et même
d'un degré plus élevé, on commence l'acte qui doit amener le résultat désiré, et l'on part du principe le plus élevé auquel la réflexion a pu atteindre. Ensuite on parcourt successivement les
causes secondaires, jusqu'au dernier principe, celui dont la pensée s'était préoccupée d'abord. Ainsi, par exemple, l'homme qui veut faire un toit pour se couvrir pense d'abord à un mur, qui doit
soutenir ce toit, puis aux fondations, sur lesquelles ce mur doit s'élever. Ici l'acte de la réflexion ne va pas plus loin. Donc l'homme commence par poser les fondations, ensuite il construit un
mur, puis il termine son oeuvre en établissant le toit. La même idée se trouve exprimée dans cette maxime : Le commencement de l'acte est la fin de la réflexion, et le commencement de la
réflexion est la fin de l'acte. En effet, l'homme ne peut agir d'une manière complète sur ce qui est en dehors de lui, à moins d'employer la réflexion pour reconnaître l'ordre et la
connexion des principes, parce que les uns dépendent des autres. C'est alors seulement qu'il doit commencer l'acte. La réflexion part du dernier des effets, celui par lequel se termine l'acte, et
s'arrête au premier, celui par lequel l'acte doit commencer. C'est par la découverte de cette ordonnance de principes et de causes que les hommes ont donné à leurs actions de la suite et de la
régularité. Les autres animaux agissent sans suite, parce qu'ils sont dépourvus de réflexion, seule faculté par laquelle l'agent puisse reconnaître l'ordre du procédé qu'il doit suivre. En effet,
les animaux des classes inférieures n'acquièrent des perceptions que par la voie des sens, perceptions isolées et privées de la liaison que la réflexion seule aurait pu leur donner. Dans le monde
des faits, les actes qui se font avec suite sont les seuls qui ont de l'importance ; les actes faits sans règle étant d'une nature très inférieure, et c'est dans cette dernière classe que se
rangent ceux des animaux. Il en résulte que l'homme peut asservir les animaux, agir sur ce qui est renfermé dans le monde des faits, étendre sa domination sur les êtres et les soumettre à sa
volonté. Voilà ce que signifie la lieutenance à laquelle Dieu a fait allusion dans ces paroles (Coran, sour. II, vers. 2) : Je vais placer sur la terre un lieutenant.
La faculté réflective dont nous venons de parler, appartient spécialement à l'homme et le distingue de tous les autres animaux. Plus la réflexion embrasse une suite régulière de causes et
d'effets, plus la véritable nature de l'humanité se développe (dans l'homme). On trouve des hommes capables de reconnaître deux chaînons dans une série de causes et d'effets ; d'autres peuvent en
saisir trois, mais ils sont incapables d'aller plus loin, D'autres peuvent suivre une série d'effets jusqu'au cinquième ou au sixième résultat ; aussi, chez ceux-ci, la qualité distinctive de
l'humanité est plus développée que chez les autres. Voyez deux joueurs d'échecs : l'un prévoit les troisièmes, et même les cinquièmes résultats d'un coup ; et cela, parce qu'ils arrivent dans un
ordre convenu. Son adversaire, dont l'esprit a moins de portée, ne voit pas si loin. Cet exemple, je l'avoue, n'est pas tout à fait juste : bien jouer aux échecs est un talent acquis, connaître
l'enchaînement des causes et des effets dépend d'une disposition naturelle. Il peut cependant servir à celui qui veut se rendre compte des principes que nous venons d'exposer. Dieu a créé l'homme
et lui a donné la supériorité sur la plupart des créatures.