8 Octobre 2008
Les milices chrétiennes qui se trouvaient sur le territoire du Maghrib occidental à l'époque almohade était passées aux service des mérinides, dès que cette force avait pris les villes du Maghrib almohade. La situation politique était suffisamment claire pour que la plupart de ces milices aient choisi le camp des mérinides, gagnants des batailles militaires. Du côté mérinides nous n'avons pas beaucoup de texte sur le traitement réservé à ce corps étranger, à part qu'ils avaient pris leurs fonctions traditionnelles au côté des mérinides et dans les batailles de reconquête sur le front oriental du Maghrib occidental en particulier. Le fondateur de la dynastie cAbd al-Wadîde avait pris à son service la milice chrétienne almohade, qui avait perdu sa dernière bataille de Temzezdekt en 1246. La mort du sultan almohade al-Sacîd avait accentué l'abandon de la cause almohade et poussé les 2 000 cavaliers à offrir leur service au nouveau pouvoir de Tlemcen. Les troupes chrétiennes des cAbd al-Wadîdes avaient constitué dès le début la garde particulière du roi. Elles se tinrent en dehors des conflits de la famille royale et des luttes intestines entre les chefs des tribus au pouvoir. C'est cette raison qui faisait de la milice un outil de stabilité aux yeux du souverain de Tlemcen au delà de leur caractéristique militaire très appréciée par tous les pouvoirs musulmans.
Les deux dynasties ont trouvé une milice déjà sur le terrain du Maghreb, hommes d'armes et d'expérience au cours des guerres qui opposaient au début les fractions prétendantes au pouvoir suprême et aux révoltes de tout bord après la défaite de Las Navas de Tolosa. Donc les Banû cAbd al-Wâd ont partagé ces forces avec les conquérants mérinides, malgré la dissolution de ces milices après la révolte de 1254 ap.J.C, ils sont revenus au service vers 1271-1272 ap.J.C à la bataille d'Isly avec les mérinides, où ils étaient le corps d'armée le plus solide de Yaghmûrâsan. Au XIIIe et au XIVe siècle, le royaume de Tlemcen avait une position difficile à tenir, coincé entre les Mérinides qui rêvent d'un empire à l'instar de leur prédécesseurs almoravides et almohades; ils ont multipliés les assauts militaires contre Tlemcen au point qu'ils ont fait de la région un espace de guerre continuellement présent sous forme de razzia (Hamlat, plur., Hamalât). De l'autre côté de la frontière, le royaume des hafsîdes, héritiers des Almohades de Marrakech faisait tout pour s'imposer comme champion du Maghreb. Ces intentions de prendre Bougie et Constantine inquiétaient les cAbd al-Wadîdes. Donc pour être indépendant vis-à-vis de tel ou tel souverain de la région et de la puissance d'un clan de la confédération au pouvoir, les cAbd al-Wadîdes, comme d'ailleurs leurs rivales politiques, s'entouraient d'une milice chrétienne pour augmenter la capacité de leurs forces, avec ces étrangers qui pouvaient servir sans être au centre des conflits internes. Les souverains tenaient à ces milices à cause de leur fidélité. Le sultan Abû al-Hasan malikite et otage des foqahâs du palais, malgré ses réformes, avait toujours à son service une milice chrétienne de 3000 cavaliers à qui il payait entre 5 à 50 dinârs d'or chaque mois.
Dans la phase de passage du pouvoir des almohades aux Mérinides, les milices chrétiennes étaient entrées en scène pour jouer un rôle politico-militaire, en particulier dans les grandes métropoles du Maghrib. En l'an 646 H/ 1248-9, au cours des déplacements de conquête vers le sud de Yahyâ b. cAbd al-Haq, il avait confié le commandement de la ville de Fès à son client (Hashâm) As-Sacûd b. Hirbâs qui vivait sous la protection des Bânû Marîn. L'historien Ibn Haldûn nous décrit le complot politique de quelques fidèles aux régimes almohades, avec la participation de la milice chrétienne de la ville commandée par le nommé Sana, qui avait tué le gouverneur pour le compte de quatre notables et le Qâdî Abû cAbd al-Rahmân al-Maghîlî. Le texte d'Ibn Haldûn, qui ne cache pas son engagement politique et sa préférence mérinide, avait signalé que le «chrétien se jeta sur lui et le tua. La tête de leur victime fut portée par toutes les rues de la ville, sa maison fut pillée et son harem violé. Ceci se passa dans le mois de Shûwal 647 H. Janvier 1250 ap.J.C. On chargea le chef chrétien du commandement de la ville et on envoya au calife al-Murtadâ une adresse de fidélité et de dévouement». Ce fait presque banal ne peut avoir une importance que dans le contexte historique de la mise en place du pouvoir politique d'une dynastie. La période de la fin des Almohades avait connu des bouleversements politiques, économiques et stratégiques très importants sur la scène du Maghreb, à cause des prétendants tribaux multiples qui aspirent à l'héritage d'une dynastie, ou plutôt d'un empire qui gouvernait au nom d'une doctrine unitaire et une idéologie qui ne laisse aucune marge de manoeuvre à la naissance d'autres mouvements.
Dans les guerres qui avaient opposé les Mérinides aux Zayanides de Tlemcen, les milices chrétiennes ont joué un rôle militaire. En 670 H/ 1271-72 ap.J.C, au cours de la marche militaire du sultan Abû Yûsuf, les milices chrétiennes ont combattu à la rivière d'Isly au côté d'une armée «composée d'Arabes, des Masmûda, de Banî Oura, de Ghumara, de Sanhâja, des débris de l'armée almohade qui se trouvaient au Maroc». Ibn Haldûn rapporte que ces milices chrétiennes et les archers ghozzes se sont les deux corps qui formaient les garnisons des villes de ce pays. Les milices chrétiennes de Tlemcen ont joué un rôle de renforcement des Emîrs cAbd al-Wadîdes face au danger des mérinides de Fès et des hafsîdes de Tunis. Elles étaient un soutien à l'émîr face aux tentatives de prise du pouvoir à l'intérieur de la coalition du pouvoir. Ce rôle en étant ainsi tout à fait traditionnel, le texte d'Ibn Haldûn sur la révolte de ces milices nous laisse un peut surpris par cette tentative avortée, qui ressemble à un "coup-d'état", purement militaire, venant d'un corps de l'armée étranger aux conflits politiques internes, sans assise politique, ni légitimité à l'intérieur de la coalition cAbd al-Wadîde. La présence de ces milices est liée à la volonté du souverain et à son seul jugement, puisque les lettrés malikites interdisaient formellement le recours aux polythéistes.