14 Février 2007
Au sein du courant mystique, la question de la « casabiya-dacwa عصبية-دعوة » n’avait pas sa place dans le discours des mystiques. Le mouvement du soufisme reste une force d’individualité qui tourne autour de cette personnalité qui appartient à une société et qui s’exprime au nom de la karâma. Le héros de la karâma est le waliy, seul, d’une capacité a défié la nature et tout ce qui semble impossible pour la société. Le waliy est au delà de l’ordinaire des gens, de ce fait, il est capable de mener la lutte contre la crise et de s’imposer comme saveur des âmes. Ibn al-Zayât إبن الزيات dans la biographie du mystique Abû Muhammad Yashkar nous raconte que dans la Mosquée de Fès, en pleine nuit, le waliy الولي est entré pour faire sa prière, soudain il a illuminé la Mosquée et dès qu’il est sortie la Mosquée est plongé dans le noir ». Au delà de la symbolique la lumière et le noire mise en avant par la karâma (noire est par excellence la crise), le texte nous informe sur la capacité du waliy seul capable de réformer et de faire sortir une société de la crise. La karâma nous propose un héros est une force capable de régler la crise des autorités. Le waliy centre de toutes les réformes reste la seule individualité dans les textes hagiographiques capable de faire sortir la société de la décadence.
Si dans les mouvements politico-religieux au Maghrib occidental, le réformateur faisait appel à la symbolique prophétique d’al-hijrat الهجرة (exil). Les ‘awliyâ’ coupaient de la base tribale et territoriale faisait appel à la symbolique de l’âge du prophète. Selon quelques karâmât, l’âge du waliy capable de conduire les réformes au sein de la société est la quarantaine, l’âge de la sagesse et la droiture. Le célèbre waliy Ibn Hirzihim الولي إبن حرزهم avait refusé à un jeune homme la rentré dans la voie du soufisme, sous prétexte qu’il n’avait pas l’âge de la quarantaine, sagesse et droiture, et où la karâma الكرامة pouvait se produire selon les règles appliqué par le soufisme.
La légitimité de conduire les réformes de la société provient aussi de la question de l’infaillibilité. Une question partagée par l’ensemble des acteurs des mouvements politico-religieux de l’islâm à des degrés divers. Du sunnisme qui accepte l’erreur du faqîh et l’infaillibilité du fondateur du mouvement comme Ibn Yâsîn à l’almowahidisme et au shicisme qui intègre l’infaillibilité totale de l’imâm. Les mystiques sont en réalité légitimés dans cette question par le degré avec lequel les populations croyaient à leurs infaillibilités. cAliy Ibn Hirzihim avait vu dans sa jeunesse le waliy Abû al-Fadl b. Yûsuf al-Nahwî faire sa quatrième prière après le coucher du soleil, avant l’appel à la prière. Une fois à la maison il avait critiqué devant son père le waliy. Le père du jeune homme lui avait fait comprendre qu’il avait commis une erreur puisque le waliy avait raison et que les gens retardaient cette prière par innovation.
Aux yeux des populations, les mystiques sont infaillibles, capables de guider la communauté des croyants et de régler les problèmes de la société, ce qui leurs a valu le titre de « Nabiy ». S’ajoute à cette infaillibilité, les karâmât qui les représentaient sous toutes les formes après leurs morts. Si dans la tradition islamique le corps de l’être humain disparaît et devient terre, le corps du waliy reste intact et un parfum se dégage de lui à l’éternité. Leur nom est prononcé à l’éternité par les songes. Ces exemples montrent bien que les saints du Maghrib aient eu une assise sociale incontestable dans les milieux populaires. Quelque que soit ce qu’ont peut dire, il représentait l’alternative dans l’esprit des populations par leur approche aux problèmes sociaux.
Réformer la société est l’une des questions que les acteurs de l’islâm ont posée le long de l’histoire. Les mouvements politico-religieux axés leurs luttes contre les États en place par l’utilisation de stratégies multiples. De la parole simple et pacifique prêchait publiquement à la violence militaire en passant par une forme d’organisation anti-État qui regroupait les fidèles, le rejet du pouvoir en place est la règle des mouvements politico-religieux. Une fois en place ces mouvements gardaient les structures politiques et économiques d’ancien régime. Le soufisme à la particularité de vouloir commencer les réformes de la société en mettant en cause l’ensemble (refus total du monde). Mettre le vide, construire une nouvelle société consiste à tenir un discours symbolique. Ibn al-Zayât nous rapporte qu’un des gouverneurs almoravide avait quitté son gouvernera (fa’aclana tawbatahu فأعلن توبته ) pour rejoindre la voie du soufisme après avoir vu la karâma de l’un des waliys et depuis ce jour, il est devenu un homme nouveau, convertie.
L’abondant des institutions, le refus de servir le régime en place symbolisé par le fameux gouverneur montre une société en mutation. al-Tamîmî rapporte que le gouverneur de Fès s’est converti (tâbaتاب ), en partant à la Mecque pour ce préparer à rentrer dans la voie du soufisme. La tawbaالتوبة des gens avait englobé la signification de l’acte du pèlerinage fondamentalement interprétait comme un renouveau spirituel et un retour aux sources.
Le pèlerinage des fondateurs des mouvements politico-religieux et des chefs des tribus est représenté par la tradition historico-géographique sous l’étiquette diplomatique et légitimiste. Les écrits hagiographies, concernant le soufisme, représentent le pèlerinage dans les karâmât plus élargies. Il concerne la population qui cherche à la fois la conversion (tawba) et le renouveau spirituel dans la voie du soufisme. Le pèlerinage est une période importante où le pèlerin évolue spirituellement, ces des voyages vers Dieu, vers la pureté. En effet la symbolique du pèlerinage dans la karâma montre le désir des waliys à avoir des populations pur (tathîr al-insân تطهير الإنسان ) dont la société à besoin.
L’eau représente comme le pèlerinage un facteur important dans le discours des ‘awliyâ’ pour la nouvelle société. Dans les karâmât, l’eau est présenté dans les actes ordinaires de la vie quotidienne et dans les actes extraordinaires des ‘awliyâ’ (Istisqâ’, soif, ablution, la marche sur la mer...). Sa présence et ces liens avec les karâmât signifient la pureté. Dans la biographie du waliy Abû al-Fadl b. al-Nahwî il est rapporté que le saint Ibn Hirzihim, dans sa visite au waliy, il l’a trouvé entrain de faire ces ablutions, une fois fini, Ibn Hirzihim remarque que le sceau restait plein, comme si Abû al-Fadl ne l’avait pas touché. Les ablutions représentent la propreté (tahâra طهارة ), c’est-à-dire se débarrassait d’al-najâsa النجاسة extérieur au corps humain, avec une purification des pêchés en se préparant à la nouvelle vie pour rencontrer Dieu. L’eau qui reste sans diminution après l’ablution du saint, symbolise la continuité de la tawba, une ouverture vers la voie du waliy et la nouvelle société débarrasser de ces pêchés.
L’eau qui signifie la vie dans l’islâm prend une dimension importante dans le discours des saints. Les marches sur l’eau rapportaient par de nombreux karâmât signifie la rentré dans la voie pur spirituelle, à ce propos al-Tamîmî rapportent qu’une population (qawm قوم ) avaient soif au point qu’elle risque de mourir, le waliy Abû cAbd Allâh b. Sâlim est rentré à la mer pour leur apporter une eau très pur (mâ’ cadb ماء عذب ). L’eau joue le rôle du sauveur et le waliy le rôle entre les deux mondes du pur et de l’impur / de licite et illicite / société en crise et la nouvelle société. Le waliy est l’intermédiaire entre ces deux mondes, capable de réaliser les attentes des populations.
Le discours des ‘awliyâ’ quand il sort de la symbolique, il reste très lié au malikisme. La société du Maghrib a connue un débat qui touche la question de la femme et son rôle dans la société et à l’intérieur de la cour. Le deuxième gestionnaire de la question était les fuqahâ’ malikites qui ont appliqué les principes de Mâlik dans ce dossier. Les Awliyâ' avait les mêmes opinions sur la question. Ibn al-cArîf les avaient considérés comme un garçon qui devrait avoir un tuteur pour son éducation. D’autre waliy ont allait plus loin, ils ont condamné les relations avec les femmes, toute en les considérant parmi les êtres qui symbolisent le mal à tel point que le waliy Abû Zayd cAbd al-Halîm b. Tûnârt al-Aylânî se mettait face au mûr dès qu’il voit une femme.
L’une des outils de la contestation des waliys est la karâma symbole jugé par ces acteurs d’une efficacité importante pour exprimer à la fois le refus de la politique théocratique des foqahâs et un moyen pour réformer la société. Construire un monde meilleur à travers la création d’une société autour des valeurs de l’indépendance vis-à-vis des institutions et de l’argent constitue le but recherché par les awliyâ'. Nous allons voir comment des symboles des karâmât expriment une réalité vécue de la société. La karâma est une opinion qui prend des cheminements différents pour exprimer un discours réformateur afin de faire face à une situation difficile de la société.
Avant d’aller plus loin dans notre analyse, il faut savoir que la karâma des ‘awliyâ’ الأولياء est une construction importante de la pensée humaine lié à la structure de la société et ces moyens d’existences. La karâma est une pratique religieuse. Dans la tradition du soufisme, la karâma est un fait extraordinaire accompli par l’esclave de Dieu, pieuse et lié à l’extrême à l’obéissance à Dieu. Ibn Qunfud impose la reconnaissance de la wilâya الولاية comme condition pour la karâma, tandis qu’Abû Madyan أبو مدين la considère comme fait qui complète les mucjizât معجزات du prophète.
Dans les manâqib مناقب , la karâma des mystiques allait de la possibilité de voir et de parler avec les morts à la connaissance de l’avenir des personnes et des groupes. Ils sont représentés comme des êtres supérieurs qui domestiquaient les animaux et la nature, la marche sur l’eau, le vol au ciel et le déplacement entre les temps et les régions... . La karâma est une source de conflit et de débat entre les savants musulmans, entre reconnaissance et opposition à la karâma, les grandes tendances de la pensée classique de l’islâm se sont divisées. Les Ashcarites l’ont reconnu. Ibn Rushd et Ibn Khaldûn l’avait reconnu puisqu’il avait une transmission qui entoure la karâma et l’ijmâc d’ahl al-sunna wa al-jamâca(إجماع أهل السنة والجماعة) sur sa reconnaissance, tandis que les Muctazilites المعتزلة l’ont rejeté. D’une manière générale, la karâma faisait partie du paysage socio-religieux de la société. La crise de la société avait amplifié ce mode d’expression. Le discours des waliy à travers la karâma reste un moyen pour passer leurs idées au sein la société.
1 - La karâma est le moyen par excellence pour prendre position au sein du paysage politico-religieux sans s’exposer à la colère et la persécution des autorités.
2 - La karâma est le moyen pacifique pour s’exprimer, puisque les ‘awliyâ’ n’avaient aucune force militaire pour s’opposer aux autorités, donc ces le discours par excellence pour expliquer les maux dont lequel la société souffre. La karâma peut aussi jouer le rôle de l’intermédiaire entre les sujets et les gouvernés dans la biographie d’Abû Shucayb al-Sariya أبو شعيب السرية : « le gouverneur d’Azemmour voulut mettre à mort un groupe de gens du pays. Abû Shucayb vint intercéder pour eux. Il était brun de couleur. Quand le gouverneur le vit, il le chassa. Au départ d’Abû Shucayb, il fut pris d’une violente douleur. On lui dit : l’homme que tu as chassé est, Abû Shucayb, c’est un saint, il faut craindre sa riposte. Il ordonna de l’amener, et quand on l’amena, il accéda à sa demande pour ce qu’il avait ordonné de mettre à mort, et sa douleur disparut »
3-La karâma avait un lien avec la religion, puisqu’il est basé sur des textes sacré qui oblige les autorités à la respecter. Les textes sacrés préparent psychologiquement les populations à accepter ce discours extraordinaire des ‘awliyâ’.
En effet, la karâma est un moyen important du courant mystique modéré. Les ‘awliyâ’ ont essayé à travers la karâma de dire à la fois leurs approbations à l’alliance des politiques et des fuqahâ’ source de crise pour la société, en même temps il propose des solutions pour une nouvelle société.