15 Février 2007
Ce que les savants musulmans nomment umma (communauté) est-ce que l'islâm doit apporter à l'humanité. L'unité de pensée et de croyance est le premier caractère de cette communauté. Ils croient en un Dieu unique (Tawhîd) et dans le message du Prophète Muhammad. Dans la vie familiale et communautaire, il se plient aux principes du Coran et de la Sunna, en pratiquant en premier les cinq piliers de l'islâm (1). Sur la base du verset coranique: « vous êtes le peuple le plus excellent qui n'ait jamais surgi parmi les hommes; vous ordonnez ce qui bon et défendez ce qui est mauvais, et vous croyez en Dieu » (2). La communauté est définie par l'appartenance à l'islâm qui est le seul critère valable pour être un membre de la communauté des croyants (3). Les théologiens musulmans ont trouvé un consensus de l'umma dans le principe de l'ijmâc.
Umma musulmane est le facteur essentiel à protéger contre toute influence empruntée à d'autres civilisations qui ne peut que nuire à sa fonction sacrée de délivrer le monde de l'erreur et de l'hérésie. De ce fait, l'ensemble de la communauté devait adopter un comportement de défense des valeurs de la religion. Le pouvoir politique central, les gouverneurs, l'administration fiscale et judiciaire devait orienter leurs efforts vers la création d'une société musulmane légitimement puissante par ces lois, sa culture et sa supériorité. Dans ce cas, la vie communautaire pluraliste ne peut pas être compatible avec le dogme de la supériorité de la communauté et sa perfection.
La communauté islamique est une société qui a élaboré un système de défense basée sur les valeurs religieuses, qui régularise la vie privée et publique, en contrôlant l'ensemble des activités humaines qui se déroulent sur le territoire de la umma. purement islamique et homogène au niveau des croyances et du comportement, c'est-à-dire que l'homogénéité de la communauté prônée par les juristes et les savants musulmans n'avait pas un caractère ethnique, ni régionaliste mais religieux. C'est pourquoi l'idée des frontières, elle aussi, est fondée sur l'appartenance à l'islâm.
Dans ce contexte, l'islâm avait réclamé une unité profonde de toute l'humanité, mais dans une culture spirituelle et sociale de la communauté musulmane, qui interdit de mêler d'autres formes de vie religieuse à celles inscrites dans le Coran. C'est de ce principe d'ailleurs que ressort la mise à l'écart des communautés religieuses qui vivaient sur le sol musulman. Le message social de l'islâm qu'avaient mis en application les fidèles se voulait exemplaire; de l'entraide entre les membres de la communauté, l'hospitalité, la générosité, la fidélité dans les engagements commerciaux, la responsabilité personnelle dans les actes moraux et même dans la conversion à l'islâm.
Pour couronner cet aspect de l'unité et du message de l'islâm, la communauté (Umma) islamique avait établi des règles juridiques issues du Coran et des enseignements du Prophète, c'est, ce que nous appelons la sharîca -la loi- qui rassemble les préceptes du Coran et de la Sunna. L'interprétation du droit avait donné naissance à quatre écoles juridiques, dont l'école malikite allait triompher au Maghreb, en particulier après la fin des mouvements harijites et le début des dynasties issues d'un mouvement politico-religieux de base sunnite.
Le triomphe de la doctrine malikite, soutenu par les État, avait glissé vers des degrés de plus en plus intransigeant pour construire et appliquer l'idéal social de la communauté et des traditions culturelles proprement islamiques dans des espaces géographiques, qui rendait la coexistence inévitable entre les musulmans et les non-musulmans et entre un passé historique de plus en plus présent dans la société, la cultures et les traditions, d'où la lutte des berbères au moment de la conquête et en particulier après l'islamisation contre une forme de l'islâm imposée par les orientaux aux populations locales.
En effet, l'islâm oriental avait trouvé devant lui une société berbère, dont le modèle d'organisation était très complexe pour parvenir à une paix inter-tribale. Les arabes ont trouvé dans ce territoire l'existence d'un droit traditionnel qui était basé sur le serment collectif, la justice rendue dans la plupart des cas par des assemblées de tribus ou de villages, selon un mode de pénalités connu sous le nom Kanûn. L'islâm avait longtemps toléré ces coutumes, ce qui avait donné une forme d'originalité linguistique et culturelle au monde berbère que nous appelons souvent le monde arabo-berbère. Le modèle de la umma qui faisait l'unanimité en Orient, était aussi pour les musulmans de l'occident après l'islamisation de la région et le retour à une unité de base après l'indépendance du Maghreb vis-à-vis de l'orient. Dans les principes de la sharica -conduite fixée par Dieu pour la communauté musulmane-, les juristes insistaient sur le caractère indivisible de son application dans le dâr al-islâm, que ni les révoltes, ni les régimes politiques ne pouvaient mettre des frontières entre ces unités territoriale religieuse.
Les écrits des historiens et des géographes arabes ont permis d'examiner le problème de dâr al-islâm dans sa dimension politique. Dès le début, la réflexion à partir des sources historico-géographiques, nous signalent deux niveaux d'information. D'une part, les auteurs avaient fourni des frontières et des appellations, et, d'autre part, ils avaient donné les explications des intéressés. Selon ces sources, dâr al-islâm avait des facteurs fondamentaux:
1-Dâr al-islâm est un espace géographique (montagne, plaine, fleuve etc...).
2-Dâr al-islâm est composé de frontières naturelles et politiques où les élites de la communauté exercent un pouvoir et appliquent une politique socio-religieuses.
3-Dâr al-islâm est définie par la religion de ces habitants.
Dès le VIIIe siècle , la tradition historico-géographique médiévale avait encadrée dâr al-islâm Nord-africain par rapport au centre de l'islâm (4), c'est-à-dire que, dès la conquête musulmane, tout territoire sous domination arabe faisait partie de dâr al-islâm, quelle que soit l'évolution politique, ses groupements provinciaux et le particularisme de ces habitants. De quelque côté qu'on l'examine, le cycle de la conquête finissait par islamiser un territoire et fonder un taghr (5). Donc tout changement qui intervient au sein de dâr al-islâm ne mettait pas en cause l'appartenance des territoires du Maghreb au dâr al-islâm.
Autrement dit, les duels conquêtes-reconquêtes avec dâr al-harb ou avec les révoltes internes quel que soit leur caractère idéologique, au moment de la pacification n'avaient pas mis les frontières en cause, puisque l'avance et le recul des guerriers a été pour les intéressés un fait des rapports de forces et des tactiques militaires.
En effet, les expériences du pouvoir au Maghreb ont été réalisées sur un seul et même espace, nommé par les historiens et géographes arabes le gharb -Le Maghrib-. Ils l'avaient situé grosso modo entre la ville d'Alexandrie et l'atlantique pour l'appellation gharb, tandis que le Maghrib était encadré de Barqa à Tanger (6). Les descriptions des sources arabes prises entre les groupements politiques et les descriptions économiques avaient fait de la Cyrénaïques et l'Ifrîqiya des provinces, et du reste des territoires du Maghreb les foyers économiques (Sûs, Sijilmâsa, la plaine Atlantique des Bûrghwâta, Tâhert, le pays du Zab...).
La tradition historico-géographique arabe est accoutumée à faire, volontairement ou involontairement, du pays du Maghrib un territoire qui va de l’atlantique (al-Bahr al-Muhît ou al-Bahr al-Mudlim) jusqu'aux frontières de l'Égypte, et du nord de l'Espagne musulmane au sud du Sahara (bilâd al-Sûdân, l'Afrique de l'Ouest) (7). L'espace de l'occident musulman était considéré par les intéressés comme un espace homogène, puisqu'il avait représenté le cadre de l'évolution politique, économique et sociale islamique dès l'islamisation de ce territoire par les conquérants arabes. Il a été, selon al-KABLY Mohamed, un espace stratégique de dâr al-islâm (8).
L'histoire commune du Maghreb entre les dominations étrangères et les luttes des Berbères pour leur indépendance, avait contribué au renforcement du sentiment d'appartenance, d'une part à un territoire limité (propriété de la tribu), et d'autre part le sentiment d'appartenir à l'ensemble du Maghreb, puisqu'ils avaient partagé plus au moins quelques traditions, la vocation commerciale et les grands événements politiques et économiques.
Avant l'apparition de l'islâm dans la région, les colonisations passagères de Rome, des Vandales et de Byzance avaient soudé le Nord-africain berbère, au moins en deux parties: l'une occidentale et l'autre orientale. Les colonisations avaient aussi accentué le sentiment des Berbères qui se résume à la population de deuxième degré, même si les dominations avaient hiérarchisé la société berbère entre les tribus de confession chrétienne ou judaïque et les tribus païennes.
L'islamisation du Maghreb n'avait en aucun cas un caractère pacifique; après une longue résistance, les Berbères avaient été islamisés. Sous l'autorité des conquérants, les Berbères n'avaient pas tardé au nom de la "l'égalité politique et fiscale" de demander des comptes au pouvoir de l'orient.
Le soulèvement harijite avait été une défaite cuisante du pouvoir califale, en même temps qu'un succès pour les populations du Maghreb, puisque, avec cette doctrine, ils s'étaient insurgé au sein de l'islâm pour ne pas devenir une population intermédiaire entre la communauté dite musulmane et le reste de la dimma, comme il était désigné dans le projet des gouverneurs arabes après Mûsâ b. Nusayr, c'est-à-dire que les Berbères avaient lutté au nom de l'islâm contre la façon dont on l'interprétait, concernant les territoires du Maghreb et ces populations (9).
Les luttes entre les doctrines inter-musulmanes pendant des siècles avaient contribué à la liberté des populations sur le plan politique et achevé l'établissement de l'islâm dans cette région de dâr al-islâm. La victoire visible de l'orthodoxie classique de l'islâm qui avait gagné vers la fin du VIIIe siècle, de nouvelles régions, cette fois grâce à l'influence des théologiens venus de l'orient, et le recul de l'orient "Califal et politique" allait instaurer définitivement la coalition berbèro-arabe au pouvoir et institutionnaliser la mise en place du pouvoir politique en Occident musulman. Ainsi les éléments sur lesquels se fonde le jugement définitif d'appartenir à dâr al-islâm dans sa partie occidentale relève d'un statut politico-religieux de l'islâm sunnite pour administrer la société dans le domaine privé et public par les principes de la Sharica, et de permettre en même temps la gestion des intérêts des uns et des autres membres de la communauté. Donc, dâr al-islâm est un parcours d'évolution politique et doctrinale depuis 78 H/ 697 , où huit gouverneurs se sont succédé à la tête de la capitale de l'occident musulman Qayrawân, pour administrer directement ces territoires au profit du centre de l'islâm, Damas.
Dès 122 H/ 740 , "la centralisation des décisions politiques" autour de Damas n'était plus possible, et un mouvement des États indépendants avait commencé sous les drapeaux de la doctrine harijite, née de la crise de la fitna en 35 H/ 656 . La théologie politique du harijisme, qui a pour axe central la fraternité et l'égalité des chances pour tout les Musulmans pour accéder au pouvoir suprême de la communauté, sans distinction de race, de pays ou de couleur, était considérée par les nouveaux venus à l'islâm comme le chemin unique pour s'opposer à l'injustice des gouverneurs du calife, ainsi que le moyen d'intégration à dâr al-islâm sur un pied d'égalité politique et fiscale.
Dans ce parcours historique des berbères en islâm médiéval, les vaincus après la conquête arabe, avaient su profiter des dogmes de l'islâm pour prendre une liberté de constituer une communauté et un dâr al-islâm indépendant et autonome vis-à-vis d'un centralisme arabe et oriental.
(1)-N: MASSIGNON Louis considère que les traits les plus caractéristiques de l'umma sont la volonté de vivre ensemble, quel que soit le contenu que les musulmans font dans le concept de communauté (MASSIGNON Louis, L'Umma et ses synonymes: notion de communauté sociale en Islâm, dans R.E.I., 1941, pp., 151-157.
(2)-BAT Ye'or, Juifs et chrétiens sous l’Islâm. Les Dhimmis, édit., Berg international, Paris, 1994, p., 22.
(3)-N: Gardet Louis souligne que pour le musulman la religion fait la citoyenneté, c'est-à-dire que l'appartenance à une communauté de Muhammad est le sentiment du musulman (GARDET Louis, La cité musulmane, Paris, pp., 28 et 193.
(4)-N: les géographes arabes faisaient une distinction entre les zones habitées (cÂmir) et les zones inhabitées (hâliya), à partir d'une idée centralisatrice, c'est-à-dire terre-mer sont liées au Dâr al-Islâm, MIQUEL André, Origines et cartes des mers dans la géographie arabe aux approches de l'an mil, dans Annales E.S.C., N° 3-4, Mai-Aout 1980, pp., 452-461.
(5)-N: Le taghr plu., tughûr était l'endroit le plus exposé aux attaques militaires; selon la stratégie militaire médiévale. Le taghr était grosso modo l'endroit fortifié et gardé pour observer les manoeuvres militaires de l'ennemi, mais il faut remarquer aussi que son utilisation par les écrits médiévaux avait signifié le long des frontières de dâr al-islâm.
(6)-AL-BAKRÎ Abû cUbayd Allâh, Description de l’Afrique septentrionale, trad., par DE SLANE., p., 21.
-N: les géographes arabes avaient divisé le Maghrib en deux régions climatiques, d'une part le climat méditerranéen et d'autre part le climat saharien, avec des nuances à l'intérieur de chaque région, c'est-à-dire que les descriptions des centres urbains, des villages et des routes commerciales avaient poussé les auteurs arabes à fournir des informations sur la particularité climatique de tel ou telle région du Maghreb. Sur les frontières climatiques du Maghrib occidental par exemple, al-Bakrî, (Description de l’Afrique..., op. cit., pp., 21-123), avait fait d'Oeud Darca la limite entre le Maghrib al-Aqsâ méditerranéen et saharien, tandis qu’Ibn Hawqal, (al-Masâlik wa al-mamâlik..., op. cit., p., 41 à 43) avait désigné l'Atlas comme la limite entre les deux climats.
(7)-IBN HAWQAL, al-Masâlik..., , p., 41.
-MARMOL C., L'Afrique, trad., par D'ABLANCOURT Perrot, Paris, 1667, T., I, p., 9.
-LEON L'AFRICAIN, Description de l’Afrique, trad., par Epaulard, Paris, 1956, pp., 3-4.
-N: une rapide enquête à partir des écrits géographiques montre à quel point les centre urbains avaient influencé les descriptions des géographes médiévaux, par exemple les villes de Barqa, de Tanger, de Tunis, de Mahdiya, de Marrakech, de Tlemcen etc.., avaient constitué des provinces (Iqlîm Barqa, Iqlîm Tanja, Iqlîm Tunis...), c'est-à-dire que la ville avec son domaine avait constitué la province, comme pôle économique, politique et social très soudé (ville, terre d'agriculture, pâturage, point d'eau...).
(8)-KABLY Mohamed, Hawla at-Tajârib al-Wahdawiyya al-wasîtiyya bi-bilâd al-Maghrib al-Kabîr..., p., 9.
(9)-SZYMANSKI Edward, Etude sur la formation des états Maghrébins, Varsovie, 1978, p., 158.
-SZYMANSKI d., Formation de l'Etat Marocain, Revue Africana, N° 3, Varsovie, 1965, pp., 27 à 48.