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Histoire du Maghreb تاريخ المغرب الكبير

Le syndrome des complots, le commerce et les étrangers sécuritaires et économiques du sultanat hafsîde de Tunis.

La croisade de Louis IX même si elle échoua sur le rivage de l'Ifrîqiya avait réduit le prestige politique dont bénéficiait al-Mustansir auprès de ses sujets et dans la région, puisque il avait accepté un traité humiliant. Le Calife du Caire avait qualifié le hafsîde de traître dans ces termes: «un prince tel que vous n'est pas digne de commander les vraie croyants». L'historien Ibn Khaldûn nous rapporte un témoignage précieux sur les forces régionales et internes de cette croisade. Sur les causes directes de cette croisade, le commerce sultanien a été au cœur du conflit, puisque l'homme puissant du sultanat al-Lihyânî faisait du commerce avec les sujets de Louis IX. Après la fin de sa carrière au sein de l'administration hafsîde, les marchands chrétiens ont demandé au sultan le remboursement de la somme prêtée de trois cent mille dinârs, sans produire de justificatifs à leur revendication. Devant le refus d'al-Mustansir, les marchands chrétiens, sujets du roi, se sont retourné vers le roi de France Saint Louis. Une fois le prétexte donné, l'idée d'une expédition militaire faisait son chemin dans le milieu des croisés contre Tunis, la ville «disaient-ils, très facile à prendre, vu la famine et la grande mortalité qui la désolent». La croisade du roi Louis IX avait pris la forme d'une guerre entre la chrétienté et l'islâm. Du côté chrétiens, le roi de France avait réussi à convaincre les autres nations chrétiennes de participer à cette expédition, avec la bénédiction du Pape qu'il lui permit même d'enlever aux églises l'argent dont il pourrait avoir besoin. Désormais l'expédition de Saint Louis avait pris une tournure internationale avec l'entrée de l'Égypte sur la scène pour soutenir al-Mustansir. Malgré toute les tentatives d'al-Mustansir pour éviter cette guerre par la voie diplomatique, en appuyant les négociations par l'envoi d'une somme d'argent de quatre-vingt mille pièces d'or et une proposition de paix très avantageuse pour Louis IX, les troupes chrétiennes ont débarqué à Carthage pour harceler Tunis. La situation des populations de Tunis fut très difficile durant des mois. La mort du roi de France le 25 août 1270 fut une délivrance pour l'Ifrîqiya. Charles d'Anjou avait cessé la guerre entre les croisés et les hafsîdes, en concluant un traité en novembre 1270 très avantageux pour les nations chrétiennes dans le domaine politique et économique. Parmi les points les plus importants: 1-La liberté du commerce en Ifrîqiya. 2-La liberté de culte pour les chrétiens qui séjournent dans le sultanat hafsîde. 3-Le paiement d'une indemnité de guerre par les Hafsîdes. 4-L'interdiction faite aux autorités hafsîdes d'héberger les ennemis des princes des croisés, d'où l'expulsion des chrétiens de l'insurrection sicilienne de 1267 contre Charles d'Anjou.

Quand Tunis était devenu tributaire de la Sicile, al-Mustansir avait respecté ces engagements tout en cherchant à trouver des alliés parmi les nations chrétiennes pour faire le poids devant l'agressivité politique et militaire des Franco-Siciliens. Le roi d'Aragon, Jacques le Conquérant, qui avait adopté la neutralité dans les événements de 1270 allait sortir gagnant, puisque le traité voulu et conclu par al-Mustansir avec l'Aragon à Valence, le 14 février 1271, renforce le commerce entre les deux États, la sécurité des commerçants, ainsi que le consulat catalans en Ifrîqiya. Les manœuvres d'al-Mustansir pour maintenir l'indépendance du sultanat vis-à-vis des agressions étrangères se sont avérées très coûteuses pour le trésor public et pour la population de l'Ifrîqiya qui avait participé au tribut de guerre. Cette situation allait devenir de plus en plus difficile avec l'éclatement du sommet du pouvoir dès la mort d'al-Mustansir. Ce dernier, grand souverain qui avait régné vingt-huit ans de 1249 à 1277 laissa un vide politique. Son fils al-Wâtik et ses frères se disputent le pouvoir. Une nouvelle brèche était donc ouverte au sein de la famille régnante qui allait se terminer par des soulèvements. En 1282 Abû Ishâq est tué par Ibn Abî cUmara. Malgré la réconciliation entre les protagonistes du pouvoir préconisée Abû Hafs entre 1284-1295, le pouvoir hafsîde est amoindri et ses rapports avec les chrétiens deviennent plus tendus, surtout que la prise de Djerba par le roi Alphonse III d'Aragon en 1284 n'avait fait que durcir la position du pouvoir et des populations d'Ifrîqiya à l'égard des chrétiens.

L'interventionnisme des nations chrétiennes dans les luttes intestines hafsîdes avait alourdi le climat politique et les rapports diplomatiques et économiques. Le roi Pierre III d'Aragon s'était fait le champion de cette politique. Après le départ des Croisés, il avait renoué les relations Aragono-hafsîde à l'initiative du sultan de Tunis par deux traités de paix. Mais en 1277 Pierre III n'avait pas hésité à soutenir l'émir Abû Ishâq qui revendiquait le trône contre son neveu Abû Zakariyâ' Yahyâ. Depuis la succession au trône d'Abû Hafs, la situation politique de l'émirat hafsîde n'avait pas cessé de se dégrader à cause des guerres entre les prétendants au pouvoir. Abû cAsîda s'est imposé à Tunis. De l'autre côté, son cousin Abû al-Baqâ' de Bougie ne reconnaît pas l'autorité de Tunis. La guerre entre les deux prétendants fit rage en Ifrîqiya. La rentrée des notables almohades, avec à leur tête, l'une des figures des almohades de Tunis, al-Lihyânî, avait alimenté la guerre civile. Ainsi, al-Lihyânî était devenu le maître incontesté de Tunis en 1311. Avec l'aide des tribus arabe, Abû Bakr s'impose comme calife de Tunis en 1318 jusqu'à 1345. Dans cette période, le sultan hafsîde avait essayé de rendre à Tunis sa stabilité politique en instaurant son pouvoir sur les villes de l'Ifrîqiya et Djerba libérées des chrétiens. De l'autre côté, le calife hafsîde avait apaisé le rêve du sultan mérinide Abû al-Hasan de refaire l'unité du Maghreb par une alliance et des relations d'amitié et de mariage. La mort du calife Abû Bakr en 1345, donne l'occasion au souverain mérinide Abû al-Hasan d'intervenir en Ifrîqiya, où la résistance fut inexistante à cause de la guerre entre les fils d'Abû Bakr. En 1347, Abû al-Hasan se rendit maître de l'Ifrîqiya mais pour une courte duré à cause de l'intervention des tribus arabes et de la révolte du Maghrib en 1348. De 1350 jusqu'à 1370, l'émirat hafsîde avait perdu son unité, de la régence d'Ibn Tafrajîn, pendant dix-neuf ans, à l'autonomie des gouverneurs de Gabès et de Djerba, les deux ports importants du sud du royaume. Les prétendants au pouvoir n'avaient pas réussi à faire l'unité de l'émirat disparu depuis al-Mustansir. Malgré les efforts du calife Abû al-cAbbâs depuis 1270 pour pacifier l'intérieur du pays, l'intervention des Génois en 1388 à Gabès et Mahdiyya et le traité conclu sous la contrainte montre que l'unité et la prospérité du royaume était loin d'être retrouvées malgré les bonnes intentions des autorités hafsîdes. Après la mort d'Abû al-cAbbâs, son successeur Abû Fâris (1394-1434) constitua un grand État en reprenant Djerba, Tripoli des Banî Mekki, Bougie, Alger et Tlemcen et affirma l'autorité centrale sur ces territoires. L'Ifrîqiya était devenue avec Abû Fâris l'une des dynasties importantes dans la région. Après sa mort, ces successeurs ont gardé la politique de pacification jusqu'au calife Abû cAbd Allâh sous lequel l'anarchie avait gagné toutes les régions. Les attaques des espagnols et des turcs vont provoquer la chute de la dynastie.

La croisade de Saint Louis, la prise de Djerba par Alphonse III d'Aragon, l'intervention des Génois à Gabès et Mahdiyya etc. et les difficultés internes du pouvoir hafsîde à cause des révoltes de palais et des régions soutenues par les nations chrétiennes, sont les éléments capitaux dans la gestion des deux dossiers des relations internationales des hafsîdes: le premier dossier concerne le commerce des hafsîdes avec les nations chrétiennes indispensable à la prospérité du sultanat et son fisc, ce qui nécessite la présence des commerçants chrétiens en Ifrîqiya. Le deuxième dossier concerne la présence des milices chrétiennes indispensables pour la sécurité du sultan. Donc comment les califes hafsîdes ont-ils géré ces deux dossiers dans un climat politique très instable?

Les milices chrétiennes de la dynastie hafsîde étaient d’origines libres, elles ont gardé leur religion et leur tradition pendant toute la durée de la dynastie. Leur tâche était souvent un métier de garde du corps au service du calife. Les textes hafsîdes les appellent nasâra نصارى, puisque tout franc demeuré chrétien est qualifié par ce nom pour le distinguer au sein de la communauté. A ce titre, les affranchis renégats (al-Mawâlî al-cUlûj الموالي العلوج) d'Abû Zakariyâ' premier ne peuvent pas être ces mercenaires chrétiens à la solde du calife de Tunis. Le fondateur de la dynastie hafsîde prit à son service des mercenaires chrétiens. Sous le règne de son fils et successeur, le calife al-Mustansir (1249-1277), une milice chrétienne constituée, sous les ordres du chevalier Guillaume de Moncada, venu du royaume d'Aragon avec soixante-dix chevaliers, entra au service des Hafsîdes. Avant même l'arrivée de Guillaume de Moncada à Tunis vers 1254-1258, un des corps mercenaires était constitué par le renégat nommé Boabdil, Abû cAbdallah. Ce dernier jouissait d'une attention particulière de la part du calife. Devenu une puissance au Maghreb, les hafsîdes tenaient une place dans les relations méditerranéennes. De ce fait, elle est la terre à la fois des aventuriers d'épée chrétiens et des réfugiés d'Espagne ou d'Italie. Dès 1260 al-Mustansir avait donné l'hospitalité à l'infant Don Henri fils du roi de Castille saint Ferdinand qui contestait l'autorité de son frère Alphonse X. Le prince avait une place au côté du calife hafsîde et il avait participé à une expédition contre les révoltés de la ville de Miliana. Une fois Abû Hafs au pouvoir, l'infant Don Henri en 1294 devint le messager du calife au côté du roi d'Aragon Jacques II pour mettre en place une alliance entre les deux royaumes.

Au début du XIVe siècle, les milices chrétiennes exécutent des missions sur le territoire d'Ifrîqiya et aux frontières du sultanat. La présence était devenue d'ordre militaire à Tunis, Bougie et Constantine. En même moment, les exilés en Ifrîqiya, seigneurs et princes, servaient les princes de Tunis avec des unités de 100 à 200 hommes d'armes comme Napoléon d'Aragon, fils du roi Jacques II, qui était à la tête de 100 hommes en service entre 1319 à 1322 et Guillaume Raymond de la famille de Moncada. Les Aragonais n'étaient pas les seuls cavaliers chrétiens au service à Tunis, mais d'autres nations chrétiennes ont servi les sultans. Guillaume Morchio, de Varazze avait combattu pour les hafsîdes en Ifrîqiya, et un des nobles vénitiens de la famille des Giuliani était au service à Tunis. Mais il reste que les mercenaires Aragonais représentent le gros de ces milices au service des hafsîdes. Les relations intenses entre la Berbérie hafsîde et les nations chrétiennes durant le XIVe siècle et le XVe siècle avait donné un rôle imminent aux colonies militaires dans la vie du pouvoir central à tel point que les chrétiens qui habitent le rabat (Rabat) ont formé l'élite de l'armée hafsîde. Le voyageur Adorno décrit ces milices dans leurs faubourgs quand: «le roi traversa une très grande place, fort large, où habitent les chrétiens du Rabat, ainsi nommés de ce quartier qu'on appelle Rabat. A cet endroit, les chrétiens en question, à cheval et en bon ordre, sur pied de guerre, avec trompettes et bannières, attendaient le roi; et, dès que celui-ci fut parvenu à l'emplacement où ils demeurent, ils se rangèrent aussitôt aux côtés de sa personne; car ils sont commis à sa garde du corps; le roi les rémunère largement, et les aime beaucoup à cause de leur fidélité». Donc la présence de ces colonies de milices chrétiennes avait progressivement devenue indispensable pour le maintien du pouvoir politique central, puisque cette présence temporise les luttes intestines et les révoltes du palais, en permettant au sultan d'avoir à son service une milice qui n'est pas concernée par l'appartenance ethnique ou familiale, puisqu'elle est concernée par la rémunération pour ses services à la personne du sultan. La décadence et l'usure de l'idéologie de l'institution musulmane, qui avait perdu au cours du XIVe et le XVe siècle son prestige religieux, avait isolé le sultan de sa base qui le soutient sur un projet doctrinal et politique. Les lettrés musulmans ne croyaient plus au califat à cause de la multiplication des prétendants. Les tribus arabes et berbères, préoccupées par l'espace économique vital pour leurs biens matériels étaient partantes pour toute aventure militaire qui leur procuraient de nouveaux espaces économiques. Cette situation, où le pragmatisme économique avait pris le dessus sur le religieux, avait isolé le sommet des royaumes de l'occident Musulman. Parmi eux, les sultans hafsîdes, qui se sont protégés en premier lieu de leurs sujets que des tentatives des nations chrétiennes. De ce fait, les milices chrétiennes, comme corps étrangers dans la vie militaire du pouvoir hafsîde, ont été imposées par cette situation interne à laquelle les hafsîdes devaient faire face, surtout que la politique du complot au sein du palais reste le souci du sultan et aucun corps de l'armée ne peut garantir la sécurité de ce dernier, sauf un corps étrangers qui touche des rémunérations et dispose des moyens plus avantageux sur le sol de l'Ifrîqiya. La milice était financée par le sultan, un financement qui se faisait par accord entre le Qâ'id de la milice et le sultan et parfois l'accord de la nation à qui il appartient. Au temps de Guillaume de Moncada, les miliciens recevaient une solde de 45 à 90 besants d'argent, et pour le Qâ'id (l'alcayt) 2 000 à 3 000 besants. Le roi d'Aragon encaissait, par prélèvement, 15 besants par mois pour chaque homme et un millier de besants sur la solde de l'alcayt. Précisons que le service de la milice chrétienne en Ifrîqiya n'était en aucun cas le fait des seuls aventuriers ou des renégats. En fait, le sultan, indirectement, achetait au roi de la milice l'accord d'avoir à sa solde des sujets de son royaume. Quand Jacques le Conquérant pouvait encaisser 20 000 besants d'argent par an, il avait, à travers cette milice, une source de revenu pour le trésor aragonais. Mais la milice avait aussi constitué un moyen sans risque de maintenir des liens étroits avec le sultan hafsîde qui tenait à l'existence de cette troupe sur son territoire. Le roi d'Aragon, conscient que sa milice en Ifrîqiya constituait un organisme officiel, n'avait pas hésité à donner une solde avancée pour les contingents qui partent de la péninsule vers l'Ifrîqiya. La nomination des Qâ'id comme Guillaume Galceran et Bérenger de Cardona en 1272 et 1299 par le roi d'Aragon montre l'importance de ces milices. Le Qâ'id des milices était le responsable qui disposait aussi de droits plus élargis touchant la nomination de ses hommes d'armes et l'autorité judiciaire.

Le rôle de la milice chrétienne des Hafsîdes a été presque la même que dans tous les royaumes musulmans. Les chrétiens de la milice travaillent en grande partie dans les villes stratégiques et en particulier dans la capitale pour servir de garde rapprochée de l'émir. Le rôle de ces milices est d'être au service de l'émir dans ces déplacements, dans les luttes contre les révoltes internes et dans toutes les missions délicates qui demandent une grande fidélité à la personne de l'émir. Au moment de la succession au trône d'Abû cAbd Allâh al-Mustansir, Ibn Khaldûn nous informe sur le rôle protecteur de la milice chrétienne au fils de leur ancien calife Abû Zakariyâ contre les tentatives des grands notables almohades de la tribu Hintâta: «Abû cAbd Allâh al-Mustansir, ayant succédé à son père Abû Zakariyâ, confia le vizirat à Mohammad B. Abî Mahdî, personnage marquant de la tribu des Hintâta. La jeunesse du nouveau souverain, qui n'avait alors qu'environ vingt ans, inspira à ce ministre l'espoir de pouvoir le diriger à son gré. Mais, pour atteindre ce but, il fallait vaincre la résistance que devait lui opposer l'entourage du sultan, troupe régulièrement organisée dans laquelle il n'y avait que des esclaves chrétiens et des musulmans espagnols appartenant à de bonnes familles. Ces serviteurs fidèles devraient leur fortune et leur position au dernier sultan et formaient un corps de milice dont le nombre en imposa aux Almohades et dont les membres leur enlevaient les meilleurs emplois de l'empire». Ce sont ces mêmes troupes que le calife al-Mustansir a utilisé pour mater la rébellion des oncles du souverain en particulier al-Lihyânî et le vizîr Ibn Abî Mahdî en 1250. L'affranchi qui avait mené la répression contre les rebelles est un certain Dafâr, qui avait régné en maître sur les troupes du calife pendant cette période de troubles. L'aide militaire chrétienne aux prétendants au pouvoir n'avait pas échappé aux nations chrétiennes comme moyen de renforcer la dépendance des sultans à la milice. Pierre III d'Aragon avait envoyé des troupes militaires au côté d'Abû Ishâq qui obtint, grâce à elles, la victoire de 1279. En même temps, le roi Pierre III avait donné à son protégé deux importantes victoires: la première était d'ordre territorial par la récupération de Constantine et Bougie, deux territoires considérés comme partie intégrante du sultanat de Tunis. La deuxième était une victoire politique qui se terminait par le recul des mérinides et l'abandon du projet de l'unité du Maghreb. Dans cette période, Abû Ishâq payait un tribut au roi d'Aragon, reconnaissance du sultan à la protection aragonaise. Les milices catalanes étaient devenues le corps protecteur du sultan et d'une grande influence à la cour de Tunis.
Au XVe siècle, l'un des textes les plus importants qui montre les deux rôles: politique vis-à-vis des autorités hafsîdes et religieux le maintien des chrétiens en Ifrîqiya, est le texte du voyageur Adorno qui nous parle des chrétiens qui demeurent à Tunis dans le lieu nommé Rabat. La colonie des chrétiens rabatiens était les chrétiens qui ressemblent le plus aux habitants musulmans dans l'usage de la langue, de la culture et des façons de vivre, parce qu'ils sont nés dans le pays où leurs familles sont installées depuis longtemps, mais selon Adorno le seul caractère qui les différencie des habitants de l'Ifrîqiya est l'appartenance à la religion chrétienne. Les Chrétiens rabatiens avaient une grande église, élevée en l'honneur de Saint-François, elle est construite selon le rite romain. Les messes sont célébrées chaque jour en latin, même si ces chrétiens ont adopté la langue du pays, ils chantent leurs messes en latin. S'ajoute à ces privilèges, l'utilisation de trois grandes cloches de l'église et un grand nombre de clochettes, l'un des éléments que les autorités musulmanes ont toujours refusé aux chrétiens Génois, Vénitiens et autres marchands chrétiens sur le littoral.

Les Chrétiens rabatins sont la garde rapprochée du sultan. Dans tous ces déplacements ils constituent son escorte et ses défenseurs. Ils ne permettent à personne de s'approcher de la personne du sultan même ces propres enfants. Le sultan, de son côté, leur accorde des privilèges importants; ils ne paient aucun tribut au roi, c'est-à-dire qu'ils étaient exclus des lois de la dimma, donc des impôts de capitation et du kharâj. La protection du sultan à ces chrétiens rabatins était totale au point que la société musulmane, dans laquelle ils vivaient, ne pouvait exercer une pression sur eux. Ils avaient même bénéficié de concessions territoriales et sont devenus propriétaires terriens de régions habitées par des populations musulmanes. La description de la vie sociale des chrétiens rabatins du voyageur Adorno montre que ces chrétiens, descendants des anciens mercenaires, constituaient un corps très utile pour le sultan hafsîde, bien que les deux institutions religieuses chrétiennes et musulmanes ont toujours rappelé les pouvoirs politiques pragmatiques des deux rives de la méditerranée à leurs devoirs dans le domaine de l'application des lois religieuses.

La papauté, qui connaissait le travail des milices auprès des pouvoirs musulmans, ne l'avait par désapprouver. Il était, pour le Saint-Siège, un moyen de maintien des chrétiens en Ifrîqiya et un moyen de protection pour les missionnaires des ordres qui rachètent les esclaves chrétiens des musulmans et prêchent l'évangile. Donc, la première attitude reste liée à l'espoir de renforcer les chrétiens, mais, vers la fin du XIIIe siècle, le rappel de l'église concerne le souci de voir les renégats, les esclaves et les milices abandonner la foi chrétienne. Une bulle de Nicolas IV, en 1290, exhorte les hommes d'armes chrétiens au service des souverains du Maghreb à demeurer fidèles à leur religion. De l'autre côté, les lettrés musulmans très attachés à la loi religieuse, rappelaient de temps à autres au calife qu'ils devaient appliquer la loi de la dimma en Ifrîqiya. Al-Qarawî avait critiqué ouvertement le vizîr Ibn al-Lahyânî (1311-1317). Au cours d'un déplacement de ce dernier dans la ville de Tunis, entouré de sa garde chrétienne, le Faqîh s'écria: «O faqîh Abû Yahyâ, cela ne t'est pas permis !». Le vizîr lui avait demandé plus d'explication à son geste. Le faqîh avait rappelé les principes des malikites sur la base de la prescription que «Dieu a interdit de faire appel à l'aide d'un polythéiste». Malgré ces deux institutions morales, la milice chrétienne avait pris toute sa place dans l'administration hafsîde, surtout que la loi musulmane stipule que l'utilisation des gens du livre revient à la seule décision du sultan. La période hafsîde était loin d'être celle des dynasties où les docteurs de la loi pouvaient dicter la conduite du calife ou du prince. Le cantonnement de la milice chrétienne dans des quartiers réservés à cet usage avait évité au souverain les incidents et les réactions des populations contre ces protégés. C'est pourquoi les califes hafsîdes ne faisaient guère attention aux semonces des malikites de la capitale, puisqu'ils traitaient avec les nations chrétiennes des alliances et des traités commerciaux. Les chrétiens au service du souverain faisaient partie de cette atmosphère de négociation bilatérale entre les hafsides et les nations chrétiennes.

Le commerce, source de rapprochement méditerranéen, avait attiré l'attention des royaumes qui entouraient le bassin méditerranéen. Les Hafsîdes dans leurs manœuvres politiques et vu leur place stratégique dans le commerce international au Moyen-Age, ont fait des efforts pour inclure dans leurs accords internationaux la situation des commerçants. Il est vrai que les traités conclus avec les nations chrétiennes étaient dans un cadre diplomatique ordinaire, mais tout de même, il était question d'étrangers qui continuent de s'installer pour des raisons diverses en Ifrîqiya: soldats, esclaves, religieux et commerçants. Tout le monde s'accorde à dire qu'il y avait une coupure nette au milieu du XIIe siècle entre les tributaires indigènes et les non-musulmans -chrétiens- venus récemment de l'étranger, même si cette affirmation est discutable puisque la chrétienté continu dans le Nafzawa jusqu'au XIVe siècle, dans la tradition et la culture berbère. L'origine et la nature des commerçants chrétiens installés sur le sol hafsîde n'a rien de commun avec la chrétienté indigène. Le statut de ces étrangers n'est plus celui de groupes non-musulmans protégés ou Dimmî. Il entre dans le terme de l'amân qui correspondait au "sint salvi et securi" des versions chrétiennes. Donc quelle était la situation juridique de ces étrangers, commerçants en particulier, qui ne sont pas des dimmî, mais que les traités désignent par des gens qui ont l'amân? L'amân est une version juridique, élaborée par le fiqh et applicable aux harbî -les gens de dâr al-harb. Les juristes musulmans ont élaboré ce statut pour garantir la sécurité de l'infidèle. Mais ce statut était très limité dans le temps et dans l'objet, c'est-à-dire que le musta'min reste soumis à l'autorité musulmane et aux impératifs de la société et qu'il ne doit dépasser ni les délais prévu par l'amân ni l'objet de sa mission qui lui ont été accordés, sous peine de passer dans le groupe dimmî. Donc deux conditions selon lesquelles la sécurité est accordée au non-musulman: la dimma, réservée aux dimmî et l'amân qui concerne le harbi venu de l'extérieur. L'amân est accordé par tout musulman majeur des deux sexes et par l'esclave mercenaire pour un ou plusieurs harbi, à condition que cet acte provienne de sa propre volonté, sans aucune contrainte. Il est limité dans le temps. Les juristes musulmans reconnaissent sa validité pour quatre mois et, en règle générale, ils interdissent aux chrétiens de dépasser onze mois sur le sol musulman. L'amân ne doit pas porter préjudice aux intérêts de la communauté musulmane. L'autorité musulmane doit respecter l'amân obtenu par le harbi tant que ce dernier ne constitue pas une menace pour la communauté musulmane. Les juristes ont interdit aux tributaires d'accorder l'amân au harbî. Cet acte concerna uniquement la personne bénéficiant de l'amân et aucun des membres de la famille ne peut ont bénéficié, ni même les biens du harbi à l'intérieur du territoire musulman ou sur le territoire ennemi.

La doctrine de l'amân des juristes musulmans n'était plus opérante au XIIIe siècle, puisque l'évolution des institutions musulmanes au Maghreb, d'une institution de la guerre sainte à une institution de l'empire et enfin État-région, lui avait imposé de nouvelles conditions dans les relations internationales. Ainsi, le royaume hafsîde, qui se trouve dans une situation régionale très difficile, était en quelque sorte devant une source importante sur les plans économiques que constituent les commerçants étrangers. Ces derniers allaient se trouver dans une situation bien éloignée des contraintes de l'amân des juristes puisqu'ils ont une durée de séjour supérieure à onze mois. Ils ont conservé leur nationalité d'origine. Ils étaient autorisés par écrit à construire de nouveaux édifices religieux, sous la protection d'un de leur compatriote: le consul reconnu par les hafsîdes, c'est-à-dire que l'amân des juristes musulmans s'est trouvé confronté à une réalité autre, puisque les relations entre les musulmans et les commerçants étrangers avaient impliqué des Etats du nord dans la réglementation du commerce, une activité précieuse pour l'économie de l'Ifrîqiya et pour le fisc. Dans ce cas, les traités qui fixent les relations entre les Hafsîdes de Tunis et les nations chrétiennes du nord de la méditerranée traitent la question du statut des commerçants étrangers chrétiens et leur droit sur le territoire des hafsîdes.

Le statut des commerçants de l'Europe était fixé par les traités entre les hafsîdes et les puissances européennes. Les sultans hafsîdes, conscients de l'importance des relations entre l'Europe et l'Ifrîqiya, ont conclu des traités pour des échanges économiques et politiques dans le but de donner une puissance politique à leur royaume sur la scène régionale. Du côté chrétien, les commerçants qui bénéficient d'un statut de nation amie dans les traités leur permettent de travailler sans contrainte sur le sol hafsîde et dans des meilleures conditions, avec des garanties des autorités: souverain et gouverneur. Dès la naissance de l'émirat hafsîde sous la direction d'Abû Zakariyâ Yahyâ, les chrétiens qui entretiennent des relations avec l'Ifrîqiya se sont engagés dans des négociations avec le maître de Tunis pour obtenir des traités de paix et de commerce. Son fils, le calife cAbd Allâh Muhammad al-Mustansir, qui gouverna le pays pendant vingt-huit ans, de 1249 à 1277, avait fait de Tunis la capitale intellectuelle et du littoral d'Ifrîqiya un pôle dynamique du commerce méditerranéen, en particulier avec la Provence, le Languedoc et les Républiques italiennes. C'est sur cette base contractuelle que le calife de Tunis avait accepté à partir de 1239 de payer un tribut au maître de la Sicile pour accéder au marché du blé et relancer les échanges commerciaux entre les deux rives de la méditerranée, avec l'installation, à la même époque, des marchands aragonais à Tunis. Deux faits allaient être fatales à cette poussée d'échanges entre le nord de la méditerranée et le calife de Tunis. Le premier est la croisade de Louis IX et la réussite de Charles d'Anjou à contraindre al-Mustansir a accepté un traité humiliant. Le deuxième fait est la mort du calife en 1277 et l'instabilité politique qui lui succède: deux ans de règne pour son fils al-Wâtiq, puis Abû Ishâq monte sur le trône en 1279, trois ans plus tard, Abû Ishâq meurt dans le soulèvement d'Ibn Abî cUmâra en 1283. La population de Tunis avait désigné Abû Hafs pour rétablir la sécurité. La période de cet émîr entre 1284 et 1295, plus au moins stable sur le plan politique, avait connu des rapports difficiles et très tendus entre l'émirat hafsîde et les nations maritimes de la méditerranée à cause des conflits entre ces nations européennes dans les ports d'Ifrîqiya et la prise de Djerba par Alphonse III d'Aragon, dont la conséquence immédiate est le durcissement du comportement d'Abû Hafs vis-à-vis des nations maritimes du nord. Les communautés marchandes des nations chrétiennes du nord de la méditerranée se regroupent principalement dans les grandes villes du littoral de l'Ifrîqiya, qui sont ouvertes au commerce maritime. Les chrétiens, commerçants selon la plupart des traités, sont invités à s'installer sur le littoral dans des endroits spécifiques réservés par les autorités musulmanes à ces étrangers. Mais ces mêmes autorités avait interdit aux commerçants chrétiens d'être accompagnés de leur famille ou d'épouser des autochtones, afin d'éviter l'installation des étrangers et la formation d'un peuplement local. Dans le cadre des relations commerciales entre les Hafsîdes et les nations chrétiennes, la mise en place d'un lieu à la disposition des marchands était une règle indispensable pour garantir la sécurité des négociants d'une part et le respect des principes de la cité musulmane et ses traditions d'autre part. Des deux côtés de la méditerranée, le lieu nommé fondouk n'avait pas posé problème, puisqu'il répond à une demande bilatérale. Les marchands chrétiens ont été installés à proximité de la mer, répartis par nation dans des bâtiments, sur le pourtour de la Méditerranée. Les fondouks des marchands étrangers: Génois, Vénitiens, Pisans, Florentins et Catalans sont des bâtiments gérés par le consul avec l'autorisation des autorités hafsîdes. Le fondouk est le siège du consulat, mais il remplit en même temps la fonction de Magasin et de résidence des sujets de la notion. Le fondouk des Catalans par exemple était un bâtiment de plus d'un étage; le consul loue à diverses parties des boutiques de ventes, en particulier le four. Le voyageur Adorno nous décrit les fondouks de Tunis. Il écrivit: «Hors de la porte orientale de la cité (Bâb al-Bahr, porte de la mer), sont les fondouks des marchands chrétiens étrangers: Génois, Vénitiens, Pisans, Florentins et Catalans. Les fondouks sont des emplacements carrés, entièrement clos de murs, qui contiennent à l'intérieur des logements nombreux et variés, mais qui ont une seule entrée. C'est là que les marchands demeurent et que leurs marchandises sont mises en vente. Le fondouk des Génois et celui des Vénitiens sont les principaux; ils sont occupés par d'importants bâtiments...».

En dehors du fondouk, les chrétiens ont parfois loué quelques boutiques, ainsi qu'un bain public. Toute les marchandises étaient vendues même le vin qui avait fait un excellent commerce, dont les consulats chrétiens négociaient souvent le monopole. Les marchands payaient un droit de magasinage au consul et une partie des bénéfices réalisés sur leurs ventes était réservé au consul. L'administration hafsîde avait le devoir de réaliser la construction et les grosses réparations des fondouks. Ces derniers étaient un lieu qui permettait aux marchands chrétiens de s'installer en toute sécurité sur le littoral. Leur activité commerciale était très précieuse pour l'économie du pays, c'est pourquoi les autorités hafsîdes ont protégé les fondouks, un élément nécessaire à la prospérité publique. Les puissances chrétiennes, au XIIIee siècle, ont essayé de supprimer la responsabilité collective de leurs sujets devant la loi religieuse musulmane. La reconnaissance de l'institution consulaire a été en tête des discussions avec les autorités hafsîdes. Le deuxième quart du XIIIe siècle a connu l'apparition des consulats en Ifrîqiya. Les plus anciens sont les consulats de Venise à Tunis en 1231, de Marseille et Gênes à Bougie en 1233, de Pise à Tunis et de la Sicile à Tunis en 1239. Le statut du consul est géré par les autorités de sa nation, il est nommé par son gouvernement, mais quelques consuls ont été nommés sur place par leurs compatriotes comme ce fut le cas pour le consul marseillais, et, en 1350 à Tunis, les sujets de la couronne d'Aragon ont choisi eux-mêmes leur consul. Les consuls représentent les gouvernements et les marchands locaux, puisque leur statut est fixé par deux textes: le traité en vigueur avec l'émirat hafsîde et la législation de leur gouvernement. Les consuls appartenaient dans leur grande majorité à la classe des marchands, même si les autorités de la métropole leur interdit d'accumuler la fonction de marchand et consul en même temps: Marseille, vers le milieu du XIIIe siècle avait interdit cet emploi aux commerçants en vin et aux courtiers, Venise, en 1436, avait interdit à son consul de s'occuper de négoce personnellement. Vu ces fonctions de représentants de sa nation et des marchands locaux, le consul avait le prestige de demander de voir le sultan hafsîde et les gouverneurs des provinces. Il disposait du droit de refuser l'entrée du fondouk aux autorités musulmanes. Il remplit au sein de sa communauté le rôle de juge de la colonie dans le domaine civil et criminel. Il appliquait les lois et les coutumes de la métropole, dans des affaires ou aucun étranger n'était impliqué. Mais dans le cas où la question touche un musulman, la tâche du consul devient très difficile, puisque les autorités hafsîdes ont toujours gardé la main mise sur la question juridique entre chrétiens et musulmans dans le domaine des litiges commerciaux. Au XIVe siècle, à l'initiative de Venise en 1305, les musulmans peuvent poursuivre les chrétiens devant le consul. Le consul avait aussi la charge de rachat des esclaves chrétiens aux mains des musulmans. Dans les relations des Hafsîdes avec les nations chrétiennes du Nord de la méditerranée, nous avons vu que le fondouk est le lieu par excellence des marchands chrétiens et des transactions commerciales. Mais le fondouk chrétien, dans un pays musulman, était aussi un lieu de liberté religieuse, puisqu'il permettait l'installation d'une chapelle pour l'exercice du culte, tant que ce dernier reste dans le cadre du respect des lois religieuses du pays et des doctrines de l'islâm. Les prêtres chrétiens pouvaient se rendre en Ifrîqiya librement, le fondouk est le lieu de leur exercice spirituel. Dans le traité de 1271 entre Jacques le Conquérant et le calife al-Mustansir, la liberté du culte sur les terres hafsîdes a été autorisé sans entraves et les chrétiens ont bénéficié du droit d'enterrer leurs morts selon leurs traditions religieuses. Dans un autre traité, daté de 1285, le calife hafsîde avait reconnu aux chrétiens le droit de célébrer leur culte comme au temps de Guillem de Moncada, c'est-à-dire comme aux alentours de 1255-1260. et XIV

L'organisation de la vie spirituelle en Ifrîqiya, a été formée autour des prêtres dans les fondouks qui s'occupent essentiellement de l'exercice du culte et à administrer les sacrements à leurs compatriotes sur le territoire de l'Ifrîqiya. A plusieurs reprises, les Papes ont essayé de trouver une unité de ces groupements chrétiens. En 1246, 18 mars 1255 et 15 février 1290 les bulles pontificales du pape Alexandre IV et de Nicolas IV relatent la volonté du Saint Siège d'étendre sur ces groupements l'autorité spirituelle de l'évêque du Maroc mérinide, qui était transformé en légat d'Afrique. Mais les chapelles-paroisses sont resté indépendantes du Saint Siège et dépendaient directement d'évêques catalans et italiens. Ces minuscules Églises sur le littoral ifriqiyien étaient formées de chrétiens étrangers. Le christianisme concerne en particulier les chrétiens venu du nord de la méditerranée pour le commerce, le service comme milice au calife hafsîde et négociant des produits rentables entre le nord et le sud de la méditerranée. Dans le cadre d'une religion importée de l'extérieur, qui n'avait pas d'attaches locales dans les milieux de la population berbéro-arabe, la vie spirituelle reste dans les consulats pour prendre soins des âmes des sujets des royaumes chrétiens. Les rois chrétiens et les évêques ont donc eu cette possibilité d'envoyer des prêtres pour servir leurs coreligionnaires, surtout que le cadre des relations nord-sud de la méditerranée n'était plus ce qu'il était au début du XIIIe siècle.

En effet, les ports ifrîqiyiens du XIIIe siècle ont connu l'apparition des chapelles des fondouks et des milices, un retour de la spiritualité chrétienne sur le territoire de l'Ifrîqiya après une politique radicale mené par les Almohades. A ce titre, les Hafsîdes, héritiers de la doctrine tumartiènne, ont abandonné à leur tour le radicalisme doctrinal et on entamé une politique tolérante. C'est vrai que la situation des Hafsîdes sur la scène régionale et méditerranéenne ne leur permet pas de conduire cette politique d'hostilité. C'est pourquoi le pragmatisme économique a suspendu en partie la politique doctrinale du pouvoir politique, comme en témoigne le texte d'al-Wansharîsî: «Les chrétiens de Tunis, raconte al-Wansharîsî, bâtirent une nouvelle église dans leur fondouk et la surmontèrent d'une construction ressemblant à un minaret. On leur demanda compte. Ils produisirent alors l'original du pacte où l'on trouva écrit: ils ne seront pas empêchés de construire un local pour l'exercice de leur culte. Quant à la construction qui surmontait leur église, ils prétendirent que c'était pour recevoir le jour. Le Qâdî commit quelqu'un pour visiter ladite construction, et l'on trouva qu'ils disaient vrai». Donc l'autorisation de construire les chapelles des fondouks provient des traités conclus avec les autorités hafsîdes. Les nations chrétiennes faisaient figurer dans les traités des clauses qui concernent la liberté du culte et le droit de construire des lieux religieux comme dans le traité Tunis-Pise en 1234, le traité de Tunis-Venise de 1251, le traité de 1270 après la croisade de Saint Louis etc. Au XIVe siècle, le voyageur Adorno nous signale que «Les Génois y ont une très belle église, élevée en l'honneur de Saint-Laurent; ils y ont leur messe chaque jour. Les Vénitiens ont même leur église dans leur fondouk: elle a été construite en l'honneur de Sainte-Marie». Dans la grande Mosquée de Tunis, Adorno évoque la tradition de Jâmic al-Zaytûna qui avait pris la place et le nom de l'ancienne église, dédié à une Sainte-Olive, contemporaine à l'invasion vandale. Les chapelles-paroisses comme lieu de culte des résidents chrétiens des fondouks représentent en quelle que sorte l'église romaine sur le sol musulman. Les missionnaires des ordres religieux ne tardaient pas à trouver en terre hafsîde la vocation de rachat des esclaves, de la propagande religieuse et un espoir du retour à la spiritualité chrétienne. Les ordres missionnaires ont envoyé leurs prêcheurs en Ifrîqiya dès 1219, pour prêcher les paroles de l'évangile et servir les chrétiens sur place. La présence des milices, de marchands chrétiens et des esclaves des corsaires sur le sol hafsîde donne aux missions chrétiennes un rôle indispensable pour soutenir ces chrétiens présents dans ce territoire musulman qui entretient des relations étroites avec les nations chrétiennes. La première mission était celle du père Egidius, Electus, ce dernier qui avait opéré des conversions secrètes de musulmans sur les côtes hafsîdes.

La question des esclaves chrétiens en terre hafsîde à cause de la guerre de la piraterie en méditerranée était parmi les préoccupations des religieux chrétiens, puisqu'elle constitue la couche de chrétiens d'Ifrîqiya les plus défavorisés par les traités du sultanat avec les nations chrétiennes. Les esclaves constituent dans la réalité du Moyen-Age un marché et un commerce florissant où les autorités musulmanes et les notables de la société trouvaient une main d'œuvre, des JawârîKhadam. Le marché des captifs était directement géré par des vendeurs et des intermédiaires. La rentabilité de ce marché était assurée et le nombre de ces captifs renouvelé sur le marché de l'Ifrîqiya par les razzias sur mer et sur les rivages par les corsaires. Une partie de ces captifs trouve la liberté et devient des néo-musulmans soit par la conversion à l'islâm connu sous le nom de cilj plu., culûj ou sous le nom de mamlûk plu., mamâlîk. Cette catégorie d'anciens esclaves a joué un rôle important dans l'armée et l'administration publique. Pour les religieux, les esclaves qui sont restés chrétiens sont exposés aux mauvais traitements et à la conversion comme seule manière d'échapper à leurs conditions serviles. De ce point de vue le clergé chrétiens, principalement les ordres religieux des trinitaires et des Mercédaires ont fait du rachat des captifs chrétiens leur cheval de bataille en pays musulmans. et des

Dès 1210-1211, les disciples de Saint Jean ont racheté à Tunis des captifs. Au cours du règne d'Abû Zakariyâ et al-Mustansir, les trinitaires ont effectué des rachats avec la permission du sultan ou du gouverneur. La société hafsîde avait toujours, consciemment ou inconsciemment, trouvé dans la présence de ces religieux sur le sol hafsîde un élément contraire à la religion musulmane, à cause de leur propagande de la religion catholique. Les autorités hafsîdes qui n'avaient pas le choix ont condamné à la peine capitale un nombre important de ces religieux. Le premier martyre de cet ordre était le Père Richard en 1219, suivi d'autres martyres de 1233 à 1285. Dans la même période, l'ordre des Mercédaires est venu pour secourir les esclaves chrétiens par rachat, en offrant même leur personne comme caution. Les religieux de l'ordre sont signalés au cours du XIIIe jusqu'au XVe siècle à Tunis, Bône, Bougie et leur mission de rachat des captifs finissaient de temps en temps par subir le martyre. Les ordres religieux étaient soutenus par les rois chrétiens. Comme protecteurs de ces religieux, ils avaient ordonné à leurs consuls de faciliter leur travail de rachat. En même temps, les papes, à toutes occasions, ont recommandé ces religieux aux sultans hafsîdes.

En 1235, le pape Grégoire IX envoya à Tunis le père Jean qu'il appelle ministrum Ordinis minorum de Barbarria chargé d'une mission auprès du sultan Abû Zakariyâ' le hafsîde. En 1246, le Pape Innocent IV avait chargé l'évêque Lupus de transmettre à Abû Zakariyâ' une lettre de recommandation. Dans cette lettre, le Pape souligne l'intention du Siège Apostolique de rattacher les chrétiens qui vivaient en Ifrîqiya à l'évêque du Maghrib occidental. Il écrivit à ce propos: «Ces chrétiens ont besoin que de salutaires conseils les préservent des maladies dangereuses de l'âme, et il faut que la présence des médecins rende à ceux qui en sont affectés l'espérance du salut. Nous avons jugé à propos d'avertir Votre Altesse Royale et de le prier instamment d'accueillir avec une religieuse clémence, par honneur pour Dieu et le Siège Apostolique, notre frère l'évêque de Maroc et nos chers fils, les frères Mineurs, qu'il lui conviendra d'envoyer dans votre royaume pour le salut des chrétiens. Nous vous demandons pour eux la liberté entière de se mettre en rapport avec ces derniers comme par le passé».

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