11 Septembre 2007
Dès la mort du réformateur Ibn Yâsîn et le Mahdî Ibn Tûmart, les Emîrs des deux mouvements almoravide et almohade allaient réunir entre leurs mains le pouvoir politique et religieux. Ils ont imposé leurs autorités, comme les héritiers légitimes des acquis politiques et territoriales de la période des mouvements politico-religieux. D'un simple militaire et compagnon de route, Yûsuf b. Tâshfîn et cAbd al-Mu'min allaient s'imposer comme souverains pour le premier et comme calife pour le deuxième. Le point commun des deux expériences était dans le pouvoir absolu, fondé sur les principes des mouvements (Dâcî et Dacwa). Pendant la période de la souveraineté politique, où la mise en place d'un pouvoir absolu au sein de la communauté combattante et sur les territoires des cAsabiyât, les détenteurs du pouvoir allaient obliger les intellectuels à se mettre au service de la dynastie de deux façons:
1-Les souverains se retournent vers le groupe du savoir, en mettant entre leur main les pouvoirs de direction, l'exemple almoravide et almohade.
2-Les souverains mérinides faisaient appel au savoir majoritaire et contestataire de l'ancien dynastie.
Les foqahâs malikites issue du mouvement d'Ibn Yâsîn, ou alliée au cours de la conquête du Maghrib occidental et de l'Andalousie, avaient représenté l'institution de la légitimité almoravide. Par conséquent, l'orthodoxie malikite a été le corpus de la légitimité politique que les foqahâs avaient géré, en garantissant la suprématie du malikisme dans le domaine du droit, c'est-à-dire que l'orthodoxie malikite et le corps des foqahâs avaient constitué les seuls éléments capable de justifier l'autorité des Almoravides. Les Mérinides par contre faisaient appel aux foqahâs malikites, toute en exploitant des thèmes apparus tardivement dans l'histoire de la dynastie, (la légitimation par l'arabité, l'appartenance à la maison du prophète, l'effort des sultans en matière religieuse...). A la différence des deux dynasties almoravide et mérinide, les Almohades allaient se contenter des organes suprêmes de la communauté almohade. Le pouvoir absolu du calife était un héritage d'Ibn Tûmart, ce dernier avait laissé à son successeur des orientations sur l'institution califal. Les shayhs des tribus avaient représenté l'institution almohade. Comme élites fondateurs, ils avaient garanti la suprématie de la matière de légitimation almohade (l'almowahidisme et le mahdisme).
D'où la question: Comment les détenteurs du pouvoir avaient transformé un pouvoir semi-consultatif à un pouvoir absolu?
Dans la hiérarchie du pouvoir royale, le deuxième poste important après celui du souverains est l'héritier du trône, puisqu'il représente à la fois la continuité du pouvoir dynastique et le pouvoir d'une fraction de la confédération tribal. A l'exception des consultations cité par la tradition historico-géographique entre les dirigeants pendant la période du mouvement, le système de l'héritier du trône était mis en place, dès la mort du premier souverain de la dynastie. A l'époque almoravide, nous pouvons distinguer entre deux périodes:
1-La période des consultations au sein du mouvement: Dès la sortie des Almoravides des territoires des Sanhâja au ribât du Sénégal jusqu'à la mort de cAbd Allâh Ibn Yâsîn, une assemblé des shayhs et des dignitaires du mouvement désignaient le successeur militaire, le plus compétent dans le domaine politique et des tactiques militaires, comme par exemple le cas de Yahyâ b. cUmar et Abû Bakr, ce dernier avait réuni les deux pouvoirs temporel et spirituel après la mort du réformateur Ibn Yâsîn. Le cas almoravide ne faisait pas exception, puisque les mouvements almohade et mérinide avaient eu aussi des assemblées chargées de la désignation du successeur.
2-La période de la direction unique: Les Almoravides ont confirmé l'union des deux pouvoirs. Yûsuf b. Tâshfîn comme gouverneur du Maghrib, avait pris tout les pouvoirs politiques, militaires etc..., ce qui avait obligé son cousin Abû Bakr b. cUmar, après une courte visite dans le nord du Maghrib, de retourner au Sahara occidental. La mise en place d'une direction unique était une étape des Almoravides, des Almohades et des Mérinides, pour confirmer la puissance du successeur dans tout les domaines. L'une des grandes décisions de Yûsuf b. Tâshfîn avait touché la structure du pouvoir politique. Il avait désigné son fils cAliy, en 495 de l'hégire héritier du trône. Ce premier acte politique dans l'histoire des Almoravides avait donné naissance au pouvoir royale. Le Maghrib occidental avait connu ce pouvoir avec les Idrisîdes, mais les Almoravides ont mis des conditions à la succession pour fournir une légitimité à l'héritier au trône, ainsi qu'aux dignitaires du pouvoir et du savoir. Ce système était tout d'abord mis en place pour combler le vide politique et constitutionnel, provoquer par la disparition du souverain. Il était aussi une application de principes juridico-politiques, puisque les composants du pouvoir dynastique reconnaissaient leurs représentativités à travers ces principes. En un mot, ce système était en général un élément organisateur, protecteur d'un pouvoir politique absolu d'une famille royale et un moyen de légitimation incontestable au Moyen-Age. D'où la question: Peut-on parlé des conditions et des principes sur Wilâyat al-cAhd à partir des sources historico-géographiques?.
Pour l'unité du royaume, on constate que l'héritier almoravide appartient à la tribus Lamtûna, en particulier à la famille Banû Wartantîq. Ce principe est confirmé par les sources arabes, à une exception qui concerne Yahyâ b. Ibrâhîn al-Judâlî, mais ce dernier avait des liens matrimoniales avec le chef des Lamtûna cAbd Allâh b. Tifâwt, pendant la période où le système de Wilâyat al-cAhd n'était pas connu. Les Almohades de leur côté avaient négligé les orientations du Mahdî et les organes suprêmes almohade. Nous avons en réalité attendu après avoir analyser l'extraordinaire organisation du mouvement almohade, à un changement qualificatif dans l'organisation des tribus et leurs rôles au sein du pouvoir central. Mais deux décisions de cAbd al-Mu'min avait montré que les acquis du mouvement ont été mis en cause.
1-cAbd al-Mu'min avait désigné son fils Muhammad comme héritier du trône. La décision avait provoqué un premier conflit interne, puisque la tribu Hargha, en particulier les deux frères du Mahdî, cÎsa et cAbd al-cAzîz n'ont pas accepté ce transfère des pouvoirs.
2-La désignation jugé illégale par les adversaires, la calife avait envoyé l'ensemble des Banû Amghâr à la ville de Fès, tout en demandant à son gouverneur al-Jiyânî de les retenir.
En 556 de l'hégire, après la tentative d'assassinat, cAbd al-Mu'min avait demandé à sa tribu Gumiya de le rejoindre à Marrakech.
L'évolution du pouvoir vers un système de l'héritier, a été accompagné d'un abondant du principe de l'unité de la umma almohade et le retour à l'influence des tribus, puisque la tribu Gumiya avait pris le sommet de la hiérarchie sociale après la tribu de Hargha et Tinmal.
Nous avons vue que les souverains almoravide étaient de la famille Banû Wartantîq. La famille cAbd al-Mu'min avait donné le nom de la dynastie almohade (al-Ddawlat al-Mûmaniya) dans la tradition historico-géographique médiéval. La famille cAbd al-Haqq b. Mahyû avait donné le nom de la dynastie mérinide (al-Ddawlat al-cAbd al-Haqqiya). En effet, l'appartenance à une famille était la base du pouvoir royale. Mais entre l'autorité absolu du père souverain et les exigences du droit qui favorise le fils aîné, la règle de la succession était parfois contourné, c'est pourquoi, on remarque des successions qui apparaissent comme des exceptions dans l'histoire du Maghrib occidental.
1-L'exception de la capacité de diriger: Yûsuf b. Tâshfîn avait jugé que son fils cAliy était capable de diriger le royaume, donc le plus apte qui mérite de lui succéder, malgré son jeune âge par rapport à ces frères.
2-L'exception de la mise en cause de l'héritier du trône: A la fin du règne du calife cAbd al-Mu'min, il avait écarté son fils héritier Muhammad pour désigner Yûsuf. L'historien al-Murrâkushî, nous représente Muhammd comme un fils d'une mauvaise éducation et incapable de remplir la fonction de calife.
3-L'exception naturel: A l'époque mérinide, Yacqûb b. cAbd al-Haq avait désigné son fils Yûsuf après la mort de son fils héritier Abû Mâlik. Au delà de ces exceptions que l'historiographie nous rapporte, la succession au trône a été basé sur l'appartenance à la famille royale. Autrement dit, la succession au trône ne doit pas, en aucun cas, aller au delà des fils des souverains ou des califes.
Comme le veut la tradition de l'institution musulmane, la bayca faisait partie de la tradition juridique et cérémonial, puisque le groupe du savoir confirme le choix du souverain et donne les moyens à l'héritier du trône pour exercer la fonction de souverain dans tout les domaines politiques, religieux et militaires. Cependant, n'oublions pas qu'il s'agissait d'un groupe influent sur la scène politique, dès la constitution de la dynastie, son rang sociale était lié uniquement au pouvoir du souverain.
En effet, deux bayca se faisaient au moment de la désignation de l'héritier, la première est la bayca d'élites (Hâsa) faite par le groupe du savoir, la famille royale, l'entourage du souverain et les dignitaires de l'administration central. La deuxième est la bayca du peuple (cÂma) qui implique les populations des centres urbains, les tribus et l'ensemble des personnalités du savoir et de l'administration. La bayca a été souvent une déclaration faite par le souverain en Andalousie ou dans une ville du Maghrib occidental, c'est-à-dire que le lieu n'était pas au niveau central (Marrakech, Fès), puisque les décisions politiques et militaires restent entre les mains du souverain-père. Yûsuf b. Tâshfîn avait désigné son fils, héritier du trône dans la ville de Cordoue, avec la participation de l'entourage dirigeant, des Emîrs de Lamtûna, des foqahâs et quelques représentants des tribus du Maghrib occidental. La bayca cÂma était à Marrakech après la mort du souverain. Au moment d'une visite des Arabes d'Ifrîqiya, cAbd al-Mu'min avait désigné son fils Muhammed héritier du trône dans la ville de Salé vers l'année 548 de l'hégire. Les Califes almohade faisaient appel au moment de la bayca aux dignitaires du pouvoir (les Shayhs almohade, les Talabas, les Huffâd, les Qâdî, les chefs des tribus arabes etc...). Selon la tradition almohade, l'un des Shayh représente le successeur en confirmant en même temps la légitimité du choix du calife, comme il l'avait fait Abû Hafs à la période de cAbd al-Mu'min. Une fois la désignation faite au niveau central, le calife écrit à tout les responsables des régions de l'empire, en leurs demandant d'intervenir au près des sujets pour confirmer la désignation, il nous suffit de citer comme exemple la lettre adressé aux étudiants (Talabas) de Sabta et de Tanger, et à l'ensemble des Almohades, des Shayhs et des élites du peuple. A l'époque mérinide Yacqûb b. cAbd al-Haqq avait désigné son fils Yûsuf dans la ville de Rabat, avec la participation des Shayhs mérinide, après la mort de Yacqûb en 685 de l'hégire, les dignitaires du pouvoir ont renouvelé la baya au souverain Yûsuf .
La bayca fut conditionnée par des principes, puisque le souverain mettait toujours son fils héritier à l'épreuve. Yûsuf b. Tâshfîn avait confié à son fils cAliy la tâche de faire repartir sept mille hommes en Andalousie, puis il l'avait désigné gouverneur en Andalousie. Ibn cIdârî nous informe que l'héritier du trône, dès qu'il serait officiellement désigner, son nom figurait sur les monnaies et prononcer dans la hutba du vendredi. Les héritiers almohade n'avaient aucune fonction au niveau de l'Etat, à l'exception d'al-Mansûr qui était Vizîr du calife Yûsuf. Les héritiers mérinide avaient un pouvoir plus large que leurs prédécesseurs almoravide et almohade. Ils avaient des vizîrs, des secrétaires et des relations avec les souverains. Malgré les efforts des détenteurs du pouvoir pour garder une forme de succession légitime et incontestable, les intérêts des Shayhs et des membres de la famille royale n'étaient toujours pas les mêmes, c'est pourquoi les hostilités surgissent à chaque succession, ou l'entourage dirigeant se divise et s'affronte au nom de la même légitimité.