10 Septembre 2008
Au nom d'Allâh, le Tout-Miséricordieux, le Très- Miséricordieux! Louange à Allah qui prononce synthétiquement un décret immuable
et qui assigne distinctivement un destin à toute chose, qui décide et exécute Ses décisions, qui reçoit satisfaction et accorde Sa satisfaction, qui est trop Saint dans Sa magnificence et Sa
majesté pour être contre-partie de ce qu'Il transcende, de même qu'II est trop transcendant pour être "substance" ou "accident"!
Il a purifié les coeurs de ceux qu'll a préférés d'entre Ses serviteurs, et n'y a pas mis les maladies des doutes et des illusions. Il n'a pas placé ces serviteurs comme cibles pour les flèches
de la contradiction et de l'hostilité, mais a fait briller pour eux, par l'Essence llluminative, le sabre dégainé de la Direction, de sorte qu'ils envahirent toutes les étendues! Parmi eux, il y
en a qui, ayant été revêtus, se sont dévêtus.
Ceux qui portent leurs revêtements considèrent ce qui leur a été ainsi conféré comme un prêt, et ceux qui les ont ôtés, leur oeuvre surérogatoire se trouve convertie pour eux en obligatoire. ll
les présente ainsi, comme un titre de gloire devant le Plérôme Suprême, et établit leur autorité dans les Mondes supérieur et inférieur, en leur accordant l'héritage du Ciel et de la Terre ainsi
ils parcourent avec le pied intrépide de la précellence, I'Exaltation et l'Ampleur, et gouvernent de leurs sièges, en liant et en déliant!
Et que la Prière (dispensatrice de Grâce) soit sur celui (le Prophète Muhammad) auquel il fut dit: "Peut-être ton Seigneur te fera-t-ll des dons et tu seras ainsi satisfait" (Cor. 93,5), de sorte
qu'il fut distingué de celui (Moïse) qui disait: "Je m'empresse vers Toi, ô Seigneur pour que tu sois satisfait (Cor. 20, 84). Que cette Prière soit permanente dans la langue de l'éternité et ne
connaisse donc jamais de fin, et qu'elle s'étende aussi sur les membres de Sa Famille, les Purs, et sur ses Compagnons, les favorisés de la Satisfaction divine, ainsi que sur ses Frères (les
autres Prophètes) qui l'ont reconnu comme véridique, depuis leur station élevée et agréée!
La Réalité Divine Essentielle (al-Haqîqatu-l-Ilâhiyya) est trop élevée pour étre contemplée par l'"oeil" qui doit contempler, tant que subsiste une trace de la condition de créature dans l'"oeil"
du contemplant. Mais lorsque "s'éteint ce qui n'a pas été" - et qui est (par nature) périssant - "et reste ce qui n'a jamais cessé d'être" - ce qui est (par nature) permanent- alors se lève le
Soleil de la preuve décisive pour la Vision par soi (al-'lyân). Alors se produit la sublimation absolue (at-tanazzuhu-l-mutlaq) effective dans la Beauté Absolue (al-Jamâlu-l-Mutlaq), et c'est
cela l'"OEil de la Synthèse et de la Réalisation par excellence" ('Aynu-l-Jam'i wa-l-Wujûd) et la "Station de la Quiétude et de la Suffisance Immuable" (Maqâmu-sSukûni wa-l-Jumûd). Cet OEil voit
alors les Nombres comme étant un "Unique", le nombre "Un" (Wâhid), qui, cependant, voyage dans des degrés numéraux et qui par ce voyage manifeste les entités des Nombres. C'est à cette station
contemplative que se produit la glissade de celui qui professe (la doctrine de) l'"unification" (al-ittihâd), Celui-ci, voyant que l'Unique voyage dans des degrés numéraux dont l'existence est
purement estimative (wahmiyya), où Il reçoit toutefois des noms qui varient avec les degrés, ne voit pas les Nombres comme étant autre chose que l'Un (al-Ahad): alors il dit qu'il y a eu
"unification", Or (I'Unique, ou l'Un) ne paraît avec son propre nom (ism), en même temps qu'avec son essence (dhât), dans aucun autre degré que dans celui de l'Unité première (al-Wahdâniyya);
toutes les fois qu'il paraît dans d'autres degrés que celui-là avec son essence, il ne fait pas paraître son propre nom, mais est nommé alors d'après ce que confère la réalité des degrés numéraux
respectifs. Ainsi, par son "nom" propre, il produit l'extinction (yufnî) et par son "essence", il produit la permanence : quand tu dis "un" (ou "unique") (wâhid) s'éteint ce qui est autre que
lui, par la vertu de ce nom, et quand tu dis "deux", l'entité du "deux" paraît par la présence de l'essence de l'Un à ce degré numéral, mais évidemment pas en raison du nom de Celui-ci, car ce
nom est contradictoire avec l'existence dudit degré numéral, alors que son essence n'y fait aucune opposition.
Ce genre de dévoilement (kashf) et de science ('ilm) doit être caché à la plupart des créatures, en raison de ce qu'il y a en cela de trop élevé; au-dessous de cela, il y a un abîme profond, où
la chute est beaucoup à craindre. En effet, si quelqu'un qui ne possède pas la connaissance des réalités propres des choses (haqâ'iq) et ignore la continuité infinitésimale des attaches
universelles (raqâ'iq), en abordant cet ordre de doctrine contemplative, tombe sur quelque propos émanant d'un être qui a possédé effectivement une telle connaissance, alors que lui-même n'en a
jamais eu quelque expérience directe il pourrait (s'autoriser à) dire (lui aussi): "Je suis Celui que j'aime, Celui que j'aime est moi". C'est pour cette raison que nous voilons et celons ce
genre d'enseignement.
Hasan al-Basrî - qu'Allâh lui fasse miséricorde! - (qui donnait régulièrement un enseignement public), lorsqu'il voulait parler de ces mystères qui ne doivent pas se trouver sur le chemin de ceux
qui n'en sont pas dignes, appelait à part Farqad as-Sabakhî et Mâlik Ibn Dinâr, ainsi que les autres présents d'entre les gens du "goût" initiatique (ahlu-dhawq), et fermant la porte aux autres,
traitait de ces matières en séance intime. S'il n'y avait pas eu une nécessité d'observer le secret, il n'aurait pas procédé de cette facon. De même Abû Hurayra - qu'Allâh soit satisfait de lui!
- a dit, selon ce que rapporte al-Bukhârî dans son Recueil de hadîths: "J'ai porté de la part du Prophète - qu'Allâh prie sur lui et le salue! - deux "sacs": l'un, je l'ai dispensé entre vous
tous; l'autre, si j'agissais de même, on me couperait cette gorge". De son côté, Ibn 'Abbâs, - qu'Allâh soit satisfait de lui! - en parlant du verset: "Allâh qui a créé sept Voûtes Célestes et
autant de Terres; le Commandement descend entre elles" (Cor. 65, 12), déclarait: "Si je vous disais quelle en est l'interprétation (ésotérique), vous me lapideriez en disant que je suis un
infidèle". D'autre part, 'Alî ben Abî Tâlib - sur lui la paix! - frappait sa poitrine et disait: "Ah! En vérité, ici il y a force sciences! Si seulement je trouvais des êtres qui puissent les
porter!" Enfin, l'Envoyé d'Allâh - qu'Allâh prie sur lui et le salue! - disait: "Abû Bakr vous est supérieur, non pas par le nombre des prières ou des jeûnes, mais par quelque chose qui est
survenu dans sa poitrine", et il n'expliqua pas ce qu'était cette chose, mais se tut là-dessus. Toute science ne doit pas être expliquée par celui qui la possède, et le Prophète - qu'Allâh prie
sur lui et le salue! -disait: "Parlez aux hommes selon la capacité de leurs intelligences".
De ce fait, quand quelqu'un trouve un livre traitant d'une science qu'il ignore et dont il n'a pas pris la voie, il ne doit pas s'en mêler, mais remettre le livre à ceux qui s'y entendent, sans
se considérer tenu d'y croire ou de n'y pas croire, ou même d'en parler.
"Tout porteur de science religieuse n'est pas nécessairement savant véritable" (hadîth).
"Mais ils traitent de mensonge ce dont ils ne possèdent pas la science" (Cor. 10, 39).
"Pourquoi disputez-vous au sujet de ce dont vous n'avez pas une science?" (Cor. 3, 66).
Ainsi, nous sommes instruits que les hommes sont blâmés quand ils parlent sur une chose sans avoir parcouru la voie qui y mène.
Nous avons été amené à mettre en avant tout cela, du fait que les livres des gens de notre voie sont pleins de mystères, et que les spéculatifs (ahlu-l-afkâr) s'en saisissent et les considèrent
selon leurs points de vue spécifiques, et de même les exotéristes (ahlu-l-Zâhir) les interprètent selon les acceptions les plus littérales, pour se mettre ensuite à en médire. Or, si on demande à
tous ceux-là simplement les acceptions véritables des termes techniques qu'emploient, d'un commun accord, les initiés (al-Qawm) dans leurs formulations, on constate qu'ils les ignorent! Comment
s'autorisent-ils alors à se prononcer sur des questions dont ils ne possèdent pas le principe? Peut-être même, quand ils voient les gens de cette voie s'entretenir à l'écart avec leurs compagnons
au sujet de leurs expériences, leur arrive-t-il de dire: "Une religion cachée est une religion mauvaise"; or, ils ignorent les différents aspects de la Religion. Les initiés cachent, non pas la
Religion, mais certaines conséquences de celle-ci et ce que le Vrai - qu'Il soit exalté! - leur a accordé pendant leur vie sous la règle d'obéissance et au moment même où ils Lui ont obéi. Ainsi,
en matière de hadîths portant sur les règles religieuses, il se peut que pour eux soit "valide" un hadîth que les exotéristes sont d'accord pour déclarer "faible" et de "transmission
défectueuse"; or les initiés peuvent tenir comme "valide" un tel hadîth, en tant qu'ils l'ont obtenu de leur côté par saisie intuitive (kashf), directement de celui qui l'a prononcé; de ce fait,
ils en tiennent compte pour leurs pratiques spirituelles, autrement que ce n'est établi chez les savants littéralistes, et ces derniers les classent alors parmi ceux qui sont sortis de la
religion, en quoi ils sont injustes, car la vérité peut être atteinte sous différents aspects, et celui-ci en est un. Inversement, il se peut qu'un hadîth considéré par les littéralistes d'un
commun accord comme "valide", ne le soit pas en fait à la lumière du dévoilement intuitif, et les initiés n'en tiennent pas compte pour leurs pratiques.
Alors, combien est louable celui qui, dans de telles situations, s'abstient d'intervenir et, cherchant la direction salutaire, s'occupe de soi-même, de sorte que chacun se tiendra à la place qui
est la sienne. Un tel homme est heureux, et s'assure la faveur de l'ordre total des réalités.
Ceux qui couvrent les mystères sous des expressions techniques emploient celle-ci conventionnellement, par précaution à l'égard des profanes, et ceux qui professent l'efficacité des "aspirations
(ou énergies) spirituelles" (al himam, sing. al-himma), ne cessent de se tenir sur leurs voies claires et précises jusqu'à ce que des panneaux annonciateurs brillent pour eux, portés par les
mains des Esprits Supérieurs qui résident au Degré de la Proximité à la Station de la Parole Bouche-à-Bouche (al-Fahwâniyya), panneaux sur lesquels des "Ecritures" bien tracées et saintes se
lèvent pour eux, comme "témoins" de la réalisation qu'ils ont obtenue, et leur confèrent le transfert de ce mode (wasf) à un autre mode, par voie de sublimation (intiqâlan munazzahan). Alors le
voile est enlevé, et ce qui avait été caché est mis à découvert! Alors est défait le bandeau, retiré le verrou, ouverte la serrure! Alors les "aspirations-énergies" propres à cet autre mode
s'unifient pour scruter la Réalité Une (al-Haqîqatu-l-Ahadiyya), et l'être ne concoit plus qu'une seule aspiration" (hamm wâhid) et rien d'autre. De cette "aspiration" unique procèdent des
influences qui portent effet sur la Réalité Pure (al-Haqîqa).
Ainsi, tantôt ces influences procèdent par abstraction de "l'aspiration unique", tantôt elles procèdent des dites aspirations au moment même où elles se produisent, mais c'est toujours Lui qui
est le Visé selon toute face, même s'Il n'est pas connu, c'est Lui le cherché par toute aspiration, même s'Il n'est pas atteint, de même que c'est Lui l'énoncé par toute langue, même s'Il reste
ineffable! Et quelle formidable stupeur on éprouve et quel immense soupir de soulagement on pousse lorsque "le bandeau est enlevé, et que la vue (basar) est devenue pénétrante", lorsque "le
Soleil s'unit à la Lune", et que l'Influent (al-Mu'aththir) paraît dans son Influence (effet) (al-athar) pour être saisi par l'OEil de l'homme! Alors Il se montre à eux (les "spectateurs") sous
diverses Formes, alors se produit la ruse à l'égard de ceux qui ont rusé, alors gagne celui qui a la foi et perd celui qui ne l'a pas!
Le Propos divin a apporté dans la langue la plus sainte la notion de "Pureté adorative" (al-Ikhlâs); celui qui purifie son adoration en l'affranchissant du pouvoir de l'idée de "rétribution",
étant ainsi de conception "hanifienne" et de voie directe, celui-là s'acquitte du devoir de conformité au Commandement et appartient au "monde de la Lumière" ('âlamu-n-Nûr), et non pas au "monde
du Salaire" ('âlamuI-Ajr).
"Allâh est la Lumière des Cieux et de la Terre" (Cor. 24, 35).
"Ils auront aussi bien leur salaire que leur Lumière" (Cor. 66, 8).
"Leur Lumière court devant eux" (Cor. 57, 12).
"La Lumière leur dit: "Je suis votre Seigneur!" et il La suivent.
Les Muhaqqiqûn (les Connaissants Compétents) ont abandonné le salaire chez Allâh; il ne leur est pas possible de le Lui réclamer car le temps leur fait défaut, tant ils sont préoccupés de Lui -
qu'Il soit exalté! - Celui qui laisse lui échapper son lot concernant Allâh Lui-Même, celui-là est le perdant. Les oeuvres, qui sont les moyens par lequels on s'acquitte des obligations et de ce
qui est proposé par la tradition prophétique, attirent par leur simple existence la récompense: ne te soucie donc pas de celle-ci. Les mouvements des corps auront nécessairement leurs fruits
sensibles: ne demande donc pas ce que les mouvements comportent par eux-mêmes, car tu gaspilles inutillement ton temps. Allâh - qu'Il soit glorifié! - a dit au sujet de Soi-Même: "Il est chaque
jour à une OEuvre" (Cor. 55, 29), or le "jour" est l'unité de temps, et l'"oeuvre du jour" en ce qui te concerne fut existenciée pour toi, non pas pour Allâh, car Il n'a pas de "besoins", et rien
ne peut lui revenir de la part de Ses créatures qu'Il n'ait de Lui-Même. Ce qu'Il crée, c'est pour toi qu'Il le crée; tiens-toi donc ici en relation de correspondance avec lui et occupe-toi, de
ton côté, de Lui. Sois toi-même chaque jour à l'oeuvre pour ton Seigneur, tout comme Lui est à l'oeuvre pour toi. En vérité, "Il ne t'a créé que pour que tu L'adores", et pour que tu te réalises
par Lui, non pas pour que tu te soucies de ce qui est autre-que-Lui. Ce qui est autre- que - toi et autre-que-Lui est cependant un don qui doit te parvenir. Allâh a dit au sujet de Soi-Même: "Je
ne leur demande pas des vivres! Je ne demande pas qu'ils me nourrissent! C'est Allâh, celui qui donne les vivres!" (Cor. 51, 57-58). Et s'Il te dit: "Prends!", réponds: "C'est à Toi de prendre!"
S'Il te dit: "Retourne!", réponds: "De Toi vers Toi". S'Il te demande "Comment, lorsque Je te dis: "Prends!" me réponds-tu: "C'est à Toi de prendre!", alors que Moi Je n'ai pas à prendre pour
moi?", réponds-Lui: "De même, moi en vérité, je ne saurais "prendre", car la prise est un acte, et moi je n'ai pas d'"acte". C'est Toi celui qui prend, car c'est Toi l'Agent (al-Fâ'il). Prends
Toi-Même pour moi ce que Tu me donnes, et ne me dis pas: "Prends, toi (créature) qui ne peux prendre!", car si Tu me parles ainsi, par l'idée de prendre de Toi Tu mets un voile sur moi. Je ne
puis rien prendre; comme Tu n'es pas à moi, et que je n'ai aucun pouvoir de prise, si je tâchais de prendre, j'obtiendrais le néant, ce qui est le pire des maux! Sinon... mais je demande plutôt à
être exempté et pardonné de cet entretien dangereux, ô Celui qui saisit et n'est pas saisi, qui possède et n'est pas possédé!"
Il peut arriver que dans l'un de ces "lieux" (mawâtin) on te présente la Religion Droite instituée d'autorité par un organe prophétique, voie d'élection et de pureté et la Religion Non-Droite,
sapientiale, mélangée, spéculative et intellectuelle, Tu discerneras entre les deux voies, et tu considéreras la fin ultime de chacune d'elles, qui est le Vrai (al-Haqq) - exalté soit-Il! -,
selon ce qui fait ton bonheur et non le malheur. Prends alors la voie de la Religion d'élection et pureté, de mode prophétique, car elle est plus élevée et plus profitable. Bien que l'autre soit
d'une très haute luminosité (rafî'u-l-manâr), et qu'elle soit également "vraie" selon un aspect, cependant sa trace s'efface du fait de l'existence de la voie prophétique. Si le fondateur d'une
voie sapientiale était maintenant du monde des vivants et présent, il rejoindrait peut-être lui-même la Religion d'élection prophétique. Nous voyons déjà que la "Religion d'élection" elle-même
(formulée par les Prophètes antérieurs) peut être ramenée à un égard ou à plusieurs égards à la "Religion d'élection et pureté" par l'effet des abrogations (que la Loi de cette dernière, la
muhammadienne, a apportées à l'égard des lois religieuses antérieures).
N'est-il pas vrai que les législations (ash-Sharâ'i', sing. ash-Sharî'a) sur lesquelles reposaient les communautés religieuses antérieures, comme celles de Moïse et de Jésus - sur eux le salut! -
ont été, à certains égards, abrogées par la Loi de Muhammad - qu'Allâh prie sur lui et le salue! - Le Prophète a même dit: "Si Moïse était vivant, il ne pourrait faire autrement que de me
suivre." A plus forte raison en sera-t-il ainsi de la législation sapientiale qui procède de l'"initiative personnelle" (ibtidâ'î) et qui est de mode spéculatif (fikrî), car elle est plus propre
à être "enlevée", bien qu'elle aussi soit "vraie" selon un aspect, ainsi que nous l'avons dit.
Enfin, sache que le plus misérable des êtres est celui qui a un "livre" (Kitâb) et qui s'égare "en suivant ses passions", quoiqu'il ait une foi dans son livre. Mais ici il y a un point que je
désire élucider, car on l'a peu relevé, et il est possible que certains s'y soient trompés quand ils ont examiné cette question sous le rapport de la "possibilité (d'exister ou de ne pas exister)
de ce qui se trouve à l'état de potentialité" (aljawâzu-l-imkânî); l'état existenciel (al-wujûd) s'établissant sur l'une des deux solutions de l'alternative qui conditionne l'être possible
(al-mumkin), il n'y a plus moyen de faire revenir l'être existencié (à l'état de simple possibilité indifférente). Il en est effectivement de même lorsque le Vrai - qu'Il soit exalté! - se révèle
à une chose, car alors Il ne se voile plus jamais à elle, et également quand Il "inscrit" (kataba) la foi dans un coeur, Il ne l'efface plus. Or si quelqu'un dit: "Il s'est caché à moi après
qu'Il s'est révélé", c'est qu'Allâh ne s'est aucunement révélé à lui, mais qu'Il lui a seulement montré quelque clarté; celui-ci a cru pouvoir dire alors: "C'est Lui!" (Huwa Huwa). Ensuite, comme
l'être créé n'a aucune stabilité dans un état, lorsque l'état change, il dit qu'il y a "voile" (hijâb). Or, de même, l' "inscription" de la Foi et l'attribution des "Signes" (al-Âyât) et des
"Evidences" (al-Bayyinât) ne cessent jamais lorsqu'elles sont des dons faits "dans les coeurs", et que dans ces coeurs se dressent les Témoins de réalisation (ash-Shawâhid, sing. shâhid). Si des
choses qui ressemblent à ces réalités viennent à être retirées à quelqu'un, sache que ces choses n'avaient pas été "inscrites" dans la Table (al-Lawh) de son coeur, et l'être ne les "enveloppait"
pas, mais était "enveloppé" par elles comme par un manteau; cet être n'avait reçu que les formules opératives et le droit de les prononcer et n'avait pas reçu leurs "réalités" mêmes; de tels dons
peuvent être repris et ils peuvent donc cesser. C'est ainsi qu'Allâh a mentionné: "Récite-leur l'affaire de celui auquel Nous avons donné Nos Signes et qui s'en est dépouillé" (Cor. 7, 174). Les
paroles "s'en est dépouillé" (insalakha min-hâ) expriment un fait analogue à l'enlèvement de l'habit par l'homme ou à l'abandon par le serpent de sa vieille peau. Les Signes en question étaient
comme un habit sur le personnage (anonyme auquel se rapporte la mention coranique), dans le sens que nous venons de préciser; celui-ci ne détenait que le pouvoir de "prononcer" certaines formules
opératives; quand il prononçait celles-ci, paraissait l'aspect caché du Nom (maknûnu-l-Ism) qui entrait dans ces formulations, ainsi que son effet produit par vertu spéciale (bi-l-khâssiyya).
Dans le cas des moyens exceptionnels à vertu opérative, il n'est requis aucune condition de pureté rituelle, ou de sainteté personnelle, ni de conscience, ni de concentration, pas plus qu'il
n'est question de foi ou de manque de foi: il ne s'agit que d'une simple prononciation de lettres déterminées, et l'effet se produit même si celui qui les prononce est distrait par rapport à ce
qu'il articule. Une chose analogue arriva à l'un de nos compagnons qui, récitant le Coran et parcourant un certain verset, constata que ce verset lui occasionnait un certain effet; il s'en étonna
sans pouvoir se l'expliquer. Alors il reprit la récitation depuis les versets antérieurs, et lorsqu'il arriva au dit verset il constata de nouveau lui-même l'effet. Et chaque fois qu'il le
répétait, il observait cet effet. Ainsi, il connut que ce verset qui s'était "ouvert" par hasard, pendant sa récitation, est un des "lieux" coraniques à vertu spéciale; par la suite, il le prit
comme "nom" (à invoquer opérativement) et produisait l'effet respectif chaque fois qu'il le voulait. Toutefois, une chose de ce genre ne séduit pas un Connaissant Véritable (Muhaqqiq), car
celui-ci ne saurait se réjouir que de ce qu'il réalise effectivement en soi. C'est ainsi que lorsqu'on demanda à Abû Yazîd (al-Bistâmî): "Quel est le Nom Suprême (al-Ismu-l-A'zam) d'Allâh?", il
répondit: "C'est la Sincérité! Sois sincère et prends n'importe quel nom divin que tu voudras!" Par cette réponse, il engagea à la réalisation effective (at-tahqîq), non pas à une simple
prononciation de formule.
Allâh a dit: "Ceux-là, Il a inscrit dans leurs coeurs la Foi (al-Imân)" (Cor. 58, 22). Mais le coeur a deux "faces" l'une extérieure, l'autre intérieure. La face intérieure ne comporte pas
l'"effacement" (al-mahw), elle est pure et sûre "fermeté" (ithbât). La face extérieure, par contre, comporte l'effacement: c'est proprement "la Tablette de l'Effacement et de l'Etablissement"
(Lawhu-l-Mahwi wa-lIthbât); un temps, Allâh y établit une certaine chose, ensuite "Il efface ce qu'Il veut, et établit (une autre chose qu'Il veut), et chez Lui se trouve la Mère du Livre
(Ummu-l-Kitâb)" (Cor. 13, 39)
Si l'homme attaché au "Livre" avait la foi dans la totalité de son Livre, il ne s'égarerait jamais, mais lorsqu'il croit en une partie du Livre et ne croit pas en l'autre partie, il est mécréant
pour de vrai (al-kâfiru haqqan), car Allâh a dit: "Ils disent: "Nous croyons en une partie du Livre et ne croyons pas en l'autre! Et ils cherchent à se trouver une voie intermédiaire. Ceux-là
sont les mécréants pour de vrai". (Cor. 4, 150-151). Or "les mécréants d'entre les Gens du Livre... sont les pires créatures" (Cor. 98, 5). Sous le rapport qui nous intéresse ici, ces mécréants
d'entre les Gens du Livre sont les "littéralistes" (ashâbu-r-rusûm) et la plupart des "gens de spéculation rationnelle" (ahlu-n-nazari-l-fikrî) d'entre les philosophes et les théologiens, qui
reconnaissent une partie seulement de ce que les Saints d'Allâh (Awliyâ'uLlâh) apportent en conséquence de ce qu'ils ont réalisé en fait de stases spirituelles (mawâjîd) et de secrets (asrâr)
qu'ils ont contemplés et trouvés. Ce qui s'en accorde avec leurs propres opinions et connaissances, ces littéralistes et ces spéculatifs l'acceptent comme vrai et ce qui ne s'en accorde pas, ils
le repoussent et le contestent, en déclarant: "Ceci est faux en raison de son désaccord avec notre preuve à nous!" Or il se peut que la "preuve" de ces pauvres ne jouisse pas de parfaites
assises, alors qu'ils se l'imaginent parfaitement établie. Dans ces conditions ne vaudrait-il pas mieux s'abstenir de s'occuper de la parole en question et de la laisser à la responsabilité de
son auteur, sans d'ailleurs que cela implique qu'on la reconnaisse comme vraie? S'ils procédaient ainsi ils recueilleraient le fruit de la non-ingérence.
Moi, par Allâh, je crains beaucoup pour ceux qui contredisent les Gens de notre Ordre (at-Tâ'ifa)! L'un d'entre eux (vraisemblablement Ru'aym) a dit: "Celui qui siège avec eux - c'est-à-dire avec
les Connaissants des réalités essentielles d'entre les Soufis - et les contredit en quelque chose qu'ils ont réalisé sûrement (mimmâ yatahaqqaqûna bihi), Allâh lui enlève du coeur la lumière de
la foi!" L'un des gens de spéculation rationnelle qui avait des prétentions à la sagesse vint poser une question à l'un des Muhaqqiqûn. J'étais présent, et les disciples de celui-ci assis. Le
Muhaqqiq commença à traiter de la question posée. Le dialecticien dit: "Ceci n'est pas une chose valable selon moi. Explique-moi, peut-être suis-je dans l'erreur". Le Muhaqqiq vit que sa parole
serait vaine et se tut, devant la contradiction et l'hostilité rencontrée, car les êtres de cette condition n'acceptent pas des situations pareilles en raison de l'impolitesse ainsi que de la
privation de baraka qui en résulte. C'est ainsi que le Prophète - qu'Allâh prie sur lui et le salue! - dit à ses Compagnons qui se trouvaient chez luii, et entre lesquels venait de se produire
une contestation: "Chez moi, la contestation est inadmissible!" Une autre fois, il avait dit: "On me faisait voir la Nuit du Destin (Laylatu-l-Qadr), mais à ce moment-là deux hommes se
disputaient (à côté de moi), et la "Nuit" fut enlevée". La voie de dévoilement et de contemplation n'admet pas qu'on contredise et réfute celui qui parle au nom de celle-ci. Un tel sacrilège se
retourne contre le contestateur, alors que l'homme de réalisation reste heureux avec ce qu'il connaît. - Un des disciples de ce cheikh se releva et dit à l'importun: "Le point dont parlait notre
maître d'une façon si claire est certain, même si je ne puis en donner moi-même l'explication". Le juriste (al-faqîh) répliqua: "Une bonne parole, exprimée dans une bonne forme, les intelligences
peuvent la recevoir dès le premier moment. Si, quand on l'examine avec la pierre de touche de la logique, et qu'on la sonde avec les preuves existantes, elle s'en va sans consistance, c'est
qu'elle est purement fausse, comme cette question qu'a exposée notre maître tout à l'heure". Le cheikh ne parla plus de cette question, le spéculatif n'ayant pas compris ce qu'il avait formulé et
ce que sa langue avait exprimé. Ce fut pour le Muhaqqiq une instruction au sujet de ce qu'il y avait dans l'âme de ce spéculatif, et il vit qu'il convenait de s'abstenir de parler avec lui de ce
genre de choses.
Ensuite, sache que la Foi (al-lmân) appuyée sur les oeuvres vertueuses se tient dans la Main de la Présence Très-Sainte (al-Hadratu-l-Muqaddasa), et pendant qu'elle s'y applique à sa tâche ('inda
iqâmati-hi fîhâ), elle voit jaillir entre les Doigts de cette Main les rivières des sciences et des connaissances, des règles de sagesse et des secrets, et elle voit ce que détient cette Main
pour les compagnons des stations initiatiques muhammadiennes. C'est de là que se nourrit la spiritualité (rûhâniyya) du résident au niveau de cette Présence qui est une des quatre Présences
fondamentales, car les résidents des différentes Présences sont tous associés (quoiqu'à des degrés différents) à cette Station Sanctissime (à laquelle ils puisent les grâces correspondantes).
La première est la susmentionnée Présence de l'Application à la Tâche (Hadratu-l-Iqâma);
La IIe est la Présence de la Lumière (Hadratu-n-Nûr);
La IIIe est la Présence de l'Intellect (Hadratu-l-'Aql);
La IVe est la Présence de l'Homme (Hadratu-l-lnsân) qui est la plus complète sous le rapport existentiel (wujûdan).
Quand le serviteur accède à la Hadratu-l-Iqâma, il boit à la rivière de la Permanence (nahru-d-Daymûmiyya), et la résidence à cette "présence" lui confère le maqâm de la "crainte du Seigneur"
(al-Khashyatu-r-rabbâniyya), la crainte sous le rapport spécial du nom divin "le Seigneur", (ar-Ridâ'u-l-ilâhî), car pour ce qui est du maqâm de la "crainte de Dieu" (al-Khashyatu-l-ilâhiyya sous
le rapport du nom suprême "Allâh"), celui-ci lui résulte d'une autre
"présence" différente de celle dont il est question ici, et qui sera traitée parmi les Demeures Initiatiques (al-Manâzil, sing. al-Manzîl) exposées dans nos "Révélations de la Mecque"
(al-Futûhâtu-l-Makkiyya). Nous y parlerons également de la "crainte du Soi" (Khashyatu-l-Huwwiyya, sous le rapport du Pronom divin Huwa = Lui), dont nous ne pouvons traiter ici.
La Demeure initiatique dont nous avons parlé dans le présent écrit inclut les "Demeures de l'Extinction et du Lever des Soleils" (Manâzilu-l-Fanâ'i wa Tulû'i-sh-Shumûs): c'est à cette Demeure que
correspond le degré de l'Ihsân (l'Accomplissement parfait de l'adoration). Il s'agit de l'Ihsân par lequel "Lui te voit" (yarâ-k, 2' Ihsan) non de celui par lequel "tu Le vois" (tarâ-H, lér
lhsân), L'Ange Gabriel - sur lui le salut! - avait demandé au Prophète - qu'Allâh prie sur lui et le salue! - "Qu'est-ce que l'lhsân?" Il répondit: "Que tu adores (ou serves) Allâh comme si tu Le
voyais (lEr Ihsân dont il ne sera plus question ici); car si tu ne Le vois pas, Lui te voit (fa-in lam takun tarâ-H, fa-inna-Hu yarâ-k, 2e Ihsân qu'il s'agira seulement d'interpréter d'une façon
spéciale): cette dernière phrase comporte une acception à l'intention des Gens qui saisissent les significations subtiles (Ahlu-l-lshârât), car découpée ainsi: fa-in lam takun: tarâ-H, elle
signifie: "si tu n'es pas: tu Le vois (effectivement)", ce qui revient au sens: "Sa vision n'a lieu que par ton extinction à toi-même".
L'alif du mot tarâ-H (représenté dans la transcription par le seul accent circonflexe) a été maintenu (car, dans la phrase découpée comme on le propose, on devrait avoir, compte tenu de la règle
de l'attraction modale, tara-H, sans l'alif), afin que la vision (ar-ru'ya) s'appuie sur lui: si l'alif avait été retranché, la "vision" n'aurait pas été possible, car la lettre 1 (= H de tarâ-H)
est un symbole de ce qui est "absent" (kinâyatun 'ani-l-ghayb), et l'absent n'est pas vu; en retranchant l'alif, on devrait "voir sans vision", ce qui est une idée contradictoire. Telle est la
raison de son maintien.
Quant à la sagesse qui a présidé à la présence du hâ dans tarâ-H (car la phrase aurait pu être: fa-in lam takun: tarâ = "si tu n'es pas: tu vois"), c'est qu'on voulait signifier: "Lorsque tu
vois" par l'existence de l'alif, tu ne peux dire: "J'ai enveloppé (tout) (ahattu)!", car Allâh est trop majestueux et trop glorieux pour être "enveloppé"; alors le H (= Lui), qui est pronom de ce
qui t'échappe (ou de ce qui reste "absent" pour toi) en fait de Réalité du Vrai, lors de la Vision, se tient là pour te prouver l'irréalité de l'Enveloppement (al-lhâ.ta).
C'est Allâh qui est le Guide. Pas de Seigneur autre que Lui.
Ici finit ce qui nous fut destiné à rapporter au sujet de cette Demeure initiatique.
Le Livre est fini dans la louange du Roi Donateur.
Extrait de l'ouvrage traduit de l'arabe, présenté et annoté par Michel Valsan. Paris, Les Editions de l'Oeuvre, 1984.