2 Avril 2007
Le premier témoignage, si précieux sur la survivance du christianisme dans la ville de Tâhert, est celui du chroniqueur des Imâms rustémides, Ibn Saghîr. Sunnite de doctrine, il rédigea son œuvre vers 900 ap.J.C, où il nous apprend plusieurs événements importants sur les chrétiens de la ville de Tâhert sous contrôle kharijite.
Ibn Saghîr mentionne en clair que tout au long du IXe siècle, les chrétiens étaient intégrés à toute les couches de la société, même celle des notables (1). Ils siégeaient dans le conseil de l'Imâm ibadite, en participant aux conflits inter-ibadite et extérieurs sous le règne du quatrième imâm Abû Bakr (vers 860 à 870 ap.J.C) et le sixième imâm Abû Hâtim -vers 895 ou 905 ap.J.C), où l'un des chefs chrétiens, tué dans les rangs de l'armée rustémide, s'appelait Jan, c'est-à-dire Joanès, Jean (2). Ces notables chrétiens, tolérés dans l'entourage des Imâms pour leur courage et leur fidélité au régime kharijite. Un certain Bakr b. al-Wâhid, chrétien de confession même si il porte un nom arabe, était considéré comme l'un des meilleurs cavaliers de l'Afrique du Nord (3). Les Chrétiens de Tâhert ont fondé des Églises sur les hauteurs de la ville (4), ce qui d'ailleurs dans la tradition musulmane est interdit, en ce référant au pacte de cUmar Ier et les interprétations des lettrés sunnites.
L'apogée et le rôle de la chrétienté tahertienne était sous le règne de l'Imâm Abû Bakr b. Aflah et son frère Abû al-Yaqdân (5). La communauté avait construit dans le quartier qui leur était réservé des demeures (Qusûr), qui égalaient celles des autres communautés. Leur représentant auprès de l'Imâm, un certain Ibn Warda, était une personnalité riche qui possédait même un souk, une activité où le savoir faire des chrétiens avait fait ces preuves (6).
Le statut de Dimmi faisait partie du système politique ibadite, avec une certaine souplesse, une particularité du système qui ne provient pas de leur doctrine mais d'une nécessité économique. Les Imâms, pour qu'ils profitent pleinement des retombés financiers de la jizya et du kharâj, ainsi que de l'activité économique chrétienne, ont laissé cette communauté libre dans le domaine économique, comme l'avait fait le fondateur de l'émirat rustémide cAbderrahmân b. Rustum (7). La politique tolérante vis-à-vis des Chrétiens de Tâhert était animée par des intérêts économiques au sommet de l'émirat rustémide. Les Chrétiens ont participé activement à la vie de la cité. Ils étaient, d'après Ibn Saghîr, fidèles aux imâms rustémides, même dans les moments de la guerre civile, lors de la prise de Tâhert par les Fâtimides en 908 ap.J.C, les Chrétiens ont suivi l'Imâm à Ouargla (8).
(1)-LEWISKI Tadeusz, Une commune chrétienne dans l'oasis de Ouargla au Xe siècle, p., 87
-MARSTON SPEIGHT R., The Place of the Christians in Ninth Centry North Africa According to Muslim Sources, Islamochristiana, N° 4, Rome, 1978, pp., 47-65.
(2)-LEWISKI Tadeusz, Une commune chrétienne dans l'oasis de Ouargla au Xe siècle, p., 87.
-NEGRE André, La fin de l'Etat rustémide, dans R.H.C.M., N° 6-7, Alger, 1969, p., 17.
-DUFOURCQ Ch. E., La coexistence des Chrétiens et des Musulmans dans al-Andalus et dans le Maghrib..., p., 210.
(3)-IBN SAGIR, "Chronique sur les imâms rustémides de Tâhert", éd., par MOTYLINSKI, dans Actes du XIVe Congrès des Orientalistes, Paris, 1908, pp., 36-98-117.
-DUFOURCQ Ch., E., La coexistence des Chrétiens et des Musulmans..., p., 210.
(4)-IBN Saghîr, Chronique des Imâms rustémides...", pp., 55 et 112.
(5)-HARIRI Mohamed, al-Ddawla al-Rustumiya bi-al-Maghrib al-Islâmî, Hadâratuhâ wa cAlâqatuha al-khârijiya bi-al-Maghrib wa al-Andalus, édit., Dâr al-Qalam, 1987, pp., 19 sq.
(6)-N: La constitution de l'émirat rustémide sur une alliance tribale, lui avait permis de tirer profit de ces forces militaires que constitue les tribus, tant que l'imâm était capable de tenir l'équilibre fragile de cette alliance, c'est d'ailleurs pourquoi les Rustémides n'ont pas eu une armée stable au service de l'émirat. Ibn Saghîr nous informe que les premiers rustémides ont réalisé des projets agricoles au profit de chaque communauté (Ibn Saghîr, Chronique d'Ibn Saghîr..., p., 12).
(7)-N: La fondation de la dynastie kharijite ibadite était le résultat en grande partie des troubles de Qayrawân après la mort d'Abû al-Khattâb cAbd al-cUlâ et la main mise de Muhammad Ibn al-Ashcat sur Qayrawân en 144 H/ 761 ap.J.C. A cette époque cAbd al-Rahmân b. Rustum qui était lieutenant d'Abû al-Khattâb avait pris la fuite avec les Ibadites vers le sud. Leur choix de La place de Tâhert pour fonder une ville était lié à des conditions de sécurité et le besoin d'un point de rencontre pour les fidèles de la doctrine ibadite. Le camp (mucaskar) cAbd al-Rahmân b. Rustum est devenu une ville prospère, très fréquentée et une plaque incontournable du commerce saharien. Voir: AL-BAKRÎ, Description de l'Afrique..., tx., fr., 140-150.
-IBN Saghîr, Chronique..., pp., 15-16.
-HARIRI Mohamed, al-Ddawla al-Rustumiya..., p., 19.
(8)-N: Al-Bakrî signale que cAbd Allâh le shicite se présenta devant Tâhert, il avait donné une promesse aux habitants de la ville à propos d'une amnistie générale, mais dès qu'il s'est rendu maître de la ville, il avait massacré un grand nombre de Rustémides en 296 H/908-909 ap.J.C. AL-BAKRÎ, Description de l'Afrique..., tx., fr., p., 139.