4 Avril 2007
Les chrétiens vivant au royaume des Hammadides ont fait l'objet d'une lettre du pape Grégoire VII (1), adressée à l'émir al-Nâsir et d'un récit controversé de Pierre Diacre sur l'Église d'al-Qalca.
La politique des Hammadides dès leur installation à al-Qalca et Bougie était de constituer un royaume qui peut tenir un commerce florissant pour donner à leur cité une importance et une dimension régionale incontestable. C'est pour cette raison que la participation des communautés andalouses, chrétiennes et musulmanes était très présente (2). Le souverain hammadide al-Nâsir avait libéré les captifs chrétiens, tout en écrivant au pape Grégoire VII pour lui demander un évêque, qui guidera la communauté minoritaire et la représentera comme interlocuteur auprès de la cour hammadide. En réponse à cette demande le pape Grégoire avait dépêché Servandus comme évêque et porteur d'une lettre au souverain hammadide.
Dans la lettre le pape Grégoire répond au souverain hammadide que sa demande de consacrer un évêque pour la communauté chrétienne du royaume est une demande «juste et excellente». La libération des chrétiens retenus comme captifs au royaume est une décision que le pape n'avait pas manqué de signaler, puisqu'elle intervient dans un cadre religieux, sans aucune rançon, ni négociations. Cette libération était par déférence pour «le bienheureux Pierre, prince des Apôtres et par amour de nous». Le souverain hammadide avait même promis de libérer les autres chrétiens captifs.
Le pape Grégoire fait rappel de quelque principes religieux qui ont guidé les actes du souverain hammadide «C'est certainement Dieu, Créateur de toutes choses, Dieu sans qui nous ne pouvons rien faire ni même penser de bon, qui a inspiré à ton cœur cette bonne action, car il éclaire tout homme venant en ce monde et Il a éclairé ton esprit à cette occasion». Vivre dans une coexistence de paix et d'harmonie entre les Musulmans et les chrétiens fait l'objet d'une demande à tonalité religieuse quand le pape écrit: «Dieu tout-puissant, en effet, qui veut que tous les hommes soient sauvés et qu'aucun ne périsse, n'apprécie tant chez chacun de nous que l'amour du prochain après l'amour de Dieu et que le soin de ne point faire à autrui ce que nous ne voudrions point qu'on nous fît». Ce texte qui rappelle une certaine idée de la tolérance, fait appel à deux facteurs fondamentaux: la religion, puisque même chez les Musulmans, l'amour du prochain est inscrit dans leurs principes et vouloir à qui est proche par voisinage ou lien de sang est considéré comme un acte pieux. Le deuxième facteur -le bien- est la raison même d'être puisque «les hommes soient sauvés et qu'aucun ne périsse», quelque soit les différences religieuses, politiques ou économiques.
Le deuxième volet de la lettre papale propose des liens plus importants sur le plan des relations diplomatiques. Tout d'abord le pape informe le souverain de l'admiration de plusieurs nobles de Rome pour ses actions en faveur de la communauté chrétienne du royaume. Parmi eux, deux personnalités proches du pape, Albericus et Cencius proposent leur amitié et leurs services au souverain hammadide, par l'envoi d'hommes à eux capable de rendre des services au souverain. Cet acte est considéré par le pape dans sa lettre comme une forme de charité chrétienne, en particulier envers les Musulmans puisqu’ils reconnaissent et confessent «le Dieu Un....... Créateur des siècles et maître de ce monde» (3).
Al-Nâsir, successeur de Bûlûghîn avait pris le pouvoir après avoir tué ce dernier en 454 de l'hégire. Après son accession au pouvoir, il avait procédé à une réorganisation administrative de son royaume autour d'al-Qalca comme capitale, en plaçant à la tête des provinces ses frères. La politique fiscale a été plus souple, suivie d'une construction du pays, ce que l'historien Ibn Khaldûn avait résumé tout en mentionnant la primauté du royaume, sa puissance et sa supériorité par rapport à celui des Badisides, désorganisé par les Arabes hilaliens. Il écrit: «pendant ces événements (l'invasion des Arabes hilaliens), le royaume des Hammadides n'avait fait que grandir et prospérer sous les auspices d'al-Nâsir. Ce monarque éleva des bâtiments magnifiques, fonda plusieurs grandes villes et fit de nombreuses expéditions dans l'intérieur du Maghrib. Il mourut en l'an 481 de l'hégire/ 1088-9 ap.J.C» (4). La deuxième lettre était adressée au clergé et aux fidèles, dans laquelle le pape recommandait d'accueillir l'évêque avec respect et de donner l'exemple de l'obéissance aux lois de Dieu, de sorte que «les sarrasins qui vous entourent, en voyant votre sincérité, votre pureté d'intention et votre amour fraternel, soient portés à l'émulation plus qu'au mépris de votre fois» (5).
La chronique de Pierre Diacre, publié par Pierre DE CENIVAL, dans son article consacré au dernier évêque de la Qalca des Banî Hammâdes en 1114, nous fournit des indications très difficiles à cerner vu que le nom de l'évêque n'est pas clairement mentionné. Le seul indice comme nom qui désigne l'évêque et sur lequel les historiens ont focalisé leur attention pour admettre cette présence est califa chez qui le Roi se rendait pour éclaircir le mystère de la lampe de l'Église: «Les sarrasins qui surveillaient l'Église, levant les yeux au ciel, virent une étoile envoyant des rayons du ciel sur la lampe de l'Église. Stupéfaits, ils ouvrent les portes de l'Église, voient la lampes allumée et courant en hâte vers le palais du Roi, lui racontent point par point ce qu'ils ont vu. Le Roi, entendant ce récit de la bouche de ses gens, refusa de les croire, ordonna d'éteindre la lampe et de garder l'Église comme auparavant, puis il se leva et alla à la maison du califa qui regardait où dominait l'Église» (6). Ce passage de la chronique de Pierre Diacre peut être interprété par un ensemble de déductions, qui ne pouvaient en aucun cas être crédible pour dire qu'il s'agit d'un évêque:
Tout d'abord, il est rare dans les textes de la chrétienté de ne pas désigner l'évêque par son rang au sein de la hiérarchie ecclésiastique, surtout que la connaissance dans le monde chrétien du nom du califa comme titre réservé aux successeurs du Prophète, nous laisse perplexe sur l'emploi de ce nom au lieu d'autres. A ce titre nous pouvons exclure de l'interprétation que le nom de califa désigne le gouverneur de la ville, ni même un représentant religieux musulman (7). La persistance de l'organisation chrétienne au Maghreb était appréciée par les pouvoirs musulmans. L'existence d'une communauté chrétienne en 1114 à la Qalca des Banî Hammâd, ainsi qu'une église, laisse à penser qu'il y avait un représentant de la communauté auprès des autorités musulmanes comme le veut la tradition au Maghreb. Installés auprès du palais royal, sous la protection du souverain et dans un quartier isolé des habitations des musulmans, les chrétiens en partie des esclaves, attesté par la lettre de Grégoire VII à al-Nâsir avaient probablement une organisation communautaire, surtout que les chrétiens étaient directement au service du souverain dans beaucoup de domaines.
Quelque soit le doute exprimé par Pierre DE CENIVAL sur la chronique du Mont Cassin, il reste tout de même la persistance que ce territoire était un asile du christianisme et la présence d'une petite communauté chrétienne à al-Qalca ne peut pas être exclue.
(1)-N: Grégoire VII, Hildebrand, né à Sovana en Toscane dans une famille moyenne vers 1020. Élu pape le 22 avril 1073, mort à Salerne le 25 mai 1085, inhumé dans la cathédrale de Salerne (Voir Dictionnaire historique de la papauté, sous la direction de LEVILLAIN Philippe, édit., Arthème Fayard, 1994, pp., 746 sq.
(2)-AL-BAKRI, Description de l'Afrique..., p., 157 et IBN KHALDÛN cA., Histoire des Berbères..., T., I, p., 51.
(3)-CUOQ Joseph, L'Église d'Afrique..., pp., 131-132. Voir la lettre dans l'annexe.
(4)-IBN KHALDÛN cAbd al-Rahmân, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes, T., I, p., 51.
(5)-CUOQ Joseph, L'Église d'Afrique..., p., 133.
(6)-DE CENIVAL P., Le prétendu évêque.., p., 5. Et CUOQ J., L'Église d'Afrique.., p., 145.
(7)-N: Certains auteurs musulmans, pour expliquer la situation qu'occupe le pape chez les chrétiens, le désignent par le mot "Califes des Francs" ou "Calife du Christ" selon la pensée politique musulmane qui ne fait aucune distinction entre le pouvoir temporel et religieux dans l'institution du califat. Voir à ce titre TISSERANT et WIET, Une lettre de l'almohade Murtadâ au pape Innocent IV, dans Hesp., 1926, p., 40. Mais le mot évêque ne traduit pas califa chez les Arabes, voir IBN KHALDÛN cA., Discours sur l'histoire universelle, trad., MONTEIL Vincent, Beyrouth, 1967, T., I, p., 466. Même les chrétiens espagnols de la langue arabe, le mot évêque est traduit Usquf (episcopus), Ibid., p., 41, note 2; voir aussi la lettre des autorités almoravides au juriste Abû al-Qâsim Ahmad b. Ward de Grenade: «Les Chrétiens (installés à Meknès) ont fait valoir que leurs moines (Ruhbân) et évêques (Asâqifa) n'avaient pas d'autres ressources que les revenus des habous constitués au profit des Églises en question». LAGARDERE Vincent, Le vendredi de Zallâqa..., p., 156.